Écrire sur les images c'est écrire, bien sûr. C'est d'abord écrire. Pourquoi d'abord? Parce qu'on n'écrit pas après avoir pensé à ce qu'on a vu. Parce qu'on pense pendant que l'on écrit, du fait même d'écrire. Parce que c'est en écrivant que notre regard se déplie, se délie, devient sensible à nous-même, pensable et lisible aux autres. Avant cela, l'œuvre d'art est, en face de moi, comme l'étrangeté même, l'étrangeté centrale à tout regard. (...)
J'écris d'abord parce qu'écrire est — au moment même où je trace ces mots — ce qu'il y a de plus près de mon corps. J'écris déjà chaque fois que je lève les yeux et que naît en moi le désir de formuler mon rapport aux « monolithes » de l'art. C'est ma façon, anthropoïde, de gémir autour d'un bloc de mystère. On ne regarde jamais purement et simplement. On regarde avec ses gémissements, avec ses mots. Regarder, bien sûr, fut d'abord ne pas reconnaître et ne pas connaître ce que je voyais: il aura fallu, chaque fois, réinventer un langage, construire ses gémissements — écrire, donc — pour faire du regard une occasion de connaissance. Écrire serait donner une forme à cet abord — ni saisie exhaustive, ni savoir absolu — des choses.
Georges Didi-Huberman " Aperçues" ( Editions de minuit 2018)
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