Aujourd'hui, en m'échauffant avant mon jogging, une réflexion m'est venue. Pour ne pas risquer d'oublier les deux ramifications qui la constituaient, j'aurais dû noter deux phrases. Rien de causal, je m'en souviens encore, ne reliait les deux pensées entre elles. Chacune pourtant renvoyait à l'autre, et même de si loin que la distance, surtout, avait retenu mon attention. Mais elles renvoyaient aussi à une troisième, à je ne sais quoi de grave et fondamental. Comme si cette tierce chose avait été le tronc même de la pensée -- l'origine des ramifications. Suite à l'oubli ( non pas moi seul, oh non, nous tous!) de cette origine, on en vient à déduire de leur éloignement que rien ne les relie entre elles. La découverte involontaire de cette erreur de raisonnement fut source en moi d'une révélation silencieuse. Or, je ne peux à présent me souvenir ni de la première pensée sans la seconde, ni de la troisième, leur tronc commun, sans les deux autres à la fois, car je les avais entrevues en interrelation et ne m'étais plus souvenu, un instant plus tard, que du sentiment même de révélation. (...)
Comme si cet instant de révélation silencieuse n'avait gardé présent à mon esprit que le schéma structurel des trois pensées ensemble, tout en y effaçant le souvenir de leur objet précis. Peut-être cette perception spatiale reflète-t-elle d'ailleurs la réalité charnelle de mon propre cerveau. Si je savais par quel artifice recréer le lien qui s'était spontanément établi, dans ma tête, entre ces trois points-là, et que j'avais ressenti comme la révélation du travail de l'esprit, non seulement je retrouverais une pensée, mais je pourrais en outre énoncer quelque chose de tangible sur la mécanique du souvenir et la révélation de la pensée à l'œuvre.
Péter Nàdas "Almanach" traduit du hongrois par Marc Martin (Phébus 2019)
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