J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

dimanche 23 février 2020

Pour commencer encore


Écrire c'est commencer encore. C'est comme jeter un nouveau caillou au bord du lac: tu jettes le caillou selon une décision si radicale, si grave qu'elle refuse d'en admettre, d'en peser, d'en anticiper toutes les conséquences. On jette un caillou comme on se jette à l'eau sans être sûr d'avoir appris à nager. Puis le caillou, après avoir dansé un bref moment à la surface de l'eau, fait ploc et disparait. Alors tu vois la forme possible d'une survivance: tu vois les vagues centrifuges qu'ont provoquées sa danse, sa chute et sa disparition. Elles vont s'élargissant. Elles font des ronds, des voltes - mot par lequel Dante, dans le De vulgari eloquentia, désignait significativement les vers poétiques eux-mêmes. Cela fait quelque chose d'inouï, d'inédit: poïesis. Cela fait aussi retour et, peut-être révolte.

Georges Didi-Huberman " Pour commencer encore" Dialogue avec Philippe Roux   ( Editions Argol 2019) 

Florence Trocmé, sur le site du Flotoir, parle de ce livre avec beaucoup de passion. En voici un extrait ( et il y en a beaucoup d'autres...)

 J’ouvre le beau volume de la collection des Singuliers qu’Argol consacre à Georges Didi-Huberman. Le livre est titré « Pour commencer encore », magnifique programme, que je ressens comme une sorte de contre-poison à l’entropie. Le livre est très beau, assez grand format, 22 x 17 cm, noir, nom de l’auteur et de son interlocuteur Philippe Roux en réserve blanche et titre en rouge. Au centre une image comme une trouée de lumière, elle-même en trouée. Une silhouette d’homme en ombre chinoise, sans doute Didi-Huberman lui-même, de dos, devant une grande baie vitrée, et semblant prendre une photo du paysage. Double trouée pour commencer encore. Exercice difficile pour Georges Didi-Huberman, on le sent d’emblée dans le dialogue avec Philippe Roux, de se placer au centre de l’intérêt. Il a beaucoup pensé la fonction du je dans l’écriture. Il dit ici qu’ « on n’écrit, on n’imagine, on ne pense que dans le jeu de je et du hors-je ». Il prévient en quelque sorte son interlocuteur qu’il lui faudra « accepter qu’il [lui] réponde souvent avec des hors-je, des choses, des images ou des pensées qui viennent d’ailleurs que de [lui] » (p. 15). Il précise encore : « C’est donc avec l’intrusion du dehors qu’il faut écrire ses propres expériences intérieures. Un texte qui gravite seulement autour de son je est un texte pauvre, narcissique, bloqué, proche de l’inanition. Dans un texte il faut que le tu s’interpose, que le il ou elle nous bouleversent, nous décentrent de nous-mêmes. Il faut qu’un certain nous se constitue. Il faut qu’un ailleurs – dans le temps comme dans l’espace – devienne l’essentiel. » (p. 15)

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