J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

mardi 7 juillet 2020

Flâneuse


Marcher, c'est cartographier l'espace avec les pieds. La marche contribue à donner son unité à la ville, elle permet de faire le lien entre des quartiers qui, sans elle, resteraient autant d'entités discrètes, de planètes différentes vaguement accolées, comme des prolongements très éloignés. J'aime voir comment ces unités se fondent les unes dans les autres, mais aussi repérer leurs démarcations. Marcher m'aide à me sentir chez moi. (...)

Par dessus tout, je marche parce que cette activité confère un sentiment de matérialité aux lieux - ou le restaure. Le géographe Yi-Fu Tuan dit qu'un espace devient un lieu lorsqu'on y investit du sens par le mouvement, lorsqu'on le voit comme un élément pouvant être sujet à perception, appréhension, expérimentation.
Je marche parce que, d'une certaine manière, marcher c'est comme lire. On est là présent, mais sans y être vraiment. On est dans le secret de ces conversations qui ne nous concernent pas, mais qu'on peut saisir au vol néanmoins. Et on peut imaginer ce que sont les vies au-delà des fragments qu'on observe. Parfois la foule est trop dense et les voix trop fortes. Mais on n'est pas seul. Il y a toujours de la compagnie. On marche dans la ville au côté des vivants et des morts.

Lauren Elkin "Flâneuse", traduit par Frédéric Le Berre ( Editions Hoëbeke 2019)

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