J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

dimanche 1 novembre 2020

Le Lustre


 A vrai dire elle n'avait jamais été malade. Toutefois, les vertiges la prenaient, quoique rarement. En un clin d'œil le sol menaçait de lui remonter à la figure, sans violence, sans hâte. Elle l'attendait tranquillement mais avant qu'elle pût comprendre, le sol était déjà redescendu là où elle ne pourrait plus le distinguer, dégringolé au fond d'un abîme, lointain comme une pierre lancée d'une falaise dans la mer. Ses pieds s'estompaient dans l'air et l'espace était traversé par des fils lumineux, par un son froid et fébrile comme le vent qui s'échappe par une fente. Ensuite un grand calme enveloppait le monde léger. Et ensuite il n'y avait plus elle. Rien qu'un air sans force et sans couleur. Elle pensait à une longue ligne tremblante — je suis en train de m'évanouir. Naissait une pause sans couleur, sans lumière, sans force, elle attendait. La fin de la pause la trouvait abandonnée sur le sol, le vent clair pénétrait par la fenêtre immobile, des taches de soleil sur les pieds. Et ce silence sans poids, bourdonnant et souriant d'un après-midi à la campagne.

Clarice Lispector " Le Lustre" ( Editions des femmes 1990) traduit du brésilien par Jacques et Teresa Thiériot

2 commentaires:

Linette a dit…

"Ses pieds s'estompaient dans l'air..."tels l'écriture légère et puissante.

Laura-Solange a dit…

Oui j'aime bien cette vision...