Nous sommes faits d'affects. Et ce ne sont pas de simples effets. Les affects ne se réduisent pas à l'expression passagère de certains états d'âme intérieurs surgissant à la surface de notre peau, de nos paupières ou de nos zygomatiques, et faisant remous dans notre corps tout entier avant que nous puissions passer à autre chose ou "aux choses sérieuses", comme on dit. Les affects sont des faits à part entière. Ils nous font tels que nous sommes lorsque nous nous confrontons au monde ou bien lorsque nous apparaissons à nos semblables pour leur exprimer -- au sens radical de ce verbe: au sens spinoziste ou deleuzien -- quelque chose. Ils sont des faits au sens où, loin d'être purement passifs ou réactifs, ils font: ils créent une configuration nouvelle à l'interface de notre psyché, de notre de notre temps et du monde ; ils donnent jour à de nouvelles significations : ils improvisent une relation inédite à autrui ; ils fondent une temporalité imprévue, souvent décisive pour notre histoire. Ils nous soulèvent des habitudes que nous avions prises nous-mêmes. Les remous qu'ils suscitent, même une seule fois sans crier gare, laisseront des traces pour longtemps.
Georges Didi-Huberman " Brouillards de peines et de désirs" ( Editions de Minuit 2023)
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