Le sens, dans une phrase, se donne de façon séquentielle. La séquence
dispose des mots ; elle indique entre eux des trajets syntaxiques et des
affinités sémantiques. Cette composition, qui rythme l'apparition du sens ne
relève qu'en partie de la grammaire et de la logique. Car le sens, du moins en
littérature, appelle à sentir autant qu’à comprendre. Il fait voir et il touche ; il
réagit. Il n’a ni la validité d’un syllogisme ni la valeur de vérité d’une
proposition, pas même la substance d’un contenu. Dans les parages de la
signification dominante des mots, il fait tache, s’écoule et s’étend. Il se produit,
éventuellement il se traduit dans d’autres langues, mais il ne peut se dire.
Après qu’on a lu la moindre phrase d’un roman, son sens continue de frémir,
de se déformer, de vibrer, et c’est en vain qu’on tenterait d’en clore le contour.
(Il n’existe pas de paraphrase.) Car on a joué sur la tension du sens, on a
pincé la corde pour entendre les harmoniques. L’effet global demeure
essentiellement instable, des ondulations le traversent. Où le sens est vivant,
le flou est nécessaire.
Pierre Alferi "Chercher une phrase" ( Christian Bourgois éditeur)
1 commentaire:
Merveilleusement bien exprimé cette fin de §, si juste et si difficile à dire
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