J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

jeudi 14 septembre 2023

Façons de lire, manières d’être

 

 


La situation attentionnelle constituée par la lecture a tous les caractères de ce que l’anthropologie appelle un espace « proxémique ». L’espace proxémique est produit par les effets de distance physique et les possibilités de contacts qui s’établissent entre des personnes ou des objets lorsqu’ils sont pris dans une interaction ; c’est un petit monde dense et séparé, où le sujet se blottit et qui, surtout, le prolonge : le lit et ses accessoires, la table de travail et ses ustensiles, le téléphone portable que je garde dans ma poche, toujours prêt à emplir la situation présente de mes images, de mes sons, de mon univers sensible ; et bien sûr le livre. Cet espace est une image élargie du corps propre, un foyer d’expansion subjective, un champ de possibilités, d’objets et de sensations ( parfums, bruits, lumières) aimanté autour de ce corps, marqué affectivement, scandé par tout ce que l’on a à portée de main ou de regard, tout ce que l’on peut atteindre sans bouger ou sans regarder, qui est un peu au-delà de soi et à quoi l’on tend par conséquent à s’identifier. En ce sens le proxémique ne concerne pas tant la clôture et les barrages du sujet, que l’effet de diffusion, les capacités de sorties et les esquisses de gestes qui prolongent activement l’intériorité. Sa valeur principale est la possibilité. (p 34)

Marielle Macé «Façons de lire, manières d’être » ( Gallimard 2011)

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