Dans un bel entretien mené par Isabelle Baladine Howald pour Poesibao,
Esther Tellermann dit : « Il y a pour moi dans l’exercice du poème, une
mise en condition peut-être semblable à celle nécessaire à la prière
pour un croyant. Cette tension vers un Autre absent, mais soudain rendu
présent par la beauté d’un chant, d’une formule, d’un poème, fait de
l’art une pratique qui, je crois, renoue avec le sacré qui désormais
nous déserte.
En ce sens, l’art nous sera de plus en plus nécessaire.
Sa dissolution dans la fabrique, quand bien même talentueuse, d’images
et de discours, est un leurre. »
Et un peu plus loin : « Je crois que
la création s’accomplit de soutenir cette perte, mais aussi de vouloir
en un instant l’abolir, en cet objet qu’est le morceau de musique, le
tableau, le poème.
Il faudrait lire un poème comme on écoute une fugue de Bach, une pièce de Schubert ou de Chopin. »
Et
encore : « Voici le pouvoir de la création que de donner forme à un
impossible, une liaison entre le temps et l’espace, entre la vie et la
mort. Mais ce pouvoir est fugace, puisque lié à l’émergence d’une
trouvaille dans le seul moment de la création, lors de cet ‘état
poétique’ dont parle Valéry, où le sujet s’absente de lui-même pour se
laisser traverser par la mémoire de la langue nouée un instant à la
mémoire subjective. Non pas celle d’un ‘moi’ modelé par les discours
ambiants, mais d’un Je qui fait acte de parole, d’écriture. Ce moment,
fugace, peut faire toucher à un réel, une vérité jusque-là méconnue.
Telle est la force de l’œuvre d’art pour qui s’essaie à entendre – ce
qui est insu – tant des savoirs ambiants que du sujet. »
lu dans "Le Flotoir" le carnet de notes de Florence Trocmé
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