J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

dimanche 14 avril 2024

Féroce

 

« Les gens de la mer ne sont pas des gens à la joie débordante, même si parfois ses embruns éthyliques les enivrent. Dans la mer se cache toujours pour eux quelque chose de la mort et la source formidable et infinie de la mélancolie. »

[…]

    Mouvements de marée, découvrant l’estran, étendant ses slikkes et schorres sur des kilomètres, éployant en toutes directions les vagues, phénomène imperceptible et pourtant familier, effrayant mais constitutif, à la fois empreinte et matrice, la mer était non pas seulement un lieu, ou la représentation d’un lieu ( c’était cette béance, la marée), la mer c’était aussi la chance que quelque chose en ce lieu prenne forme, le contienne en quelque sorte, comme ce quelque chose contient lui-même ce qui lui arrive. La mer c’était en quelque sorte la possibilité que quelque chose survienne, comme l’ebbe s’en retourne, vivace comme un chien, la possibilité d’un évènement. Et, par conséquent, la possibilité qu’un récit relate cet évènement. La mer c’était en quelque sorte du récit en germe, en graine, oui, spiralée ou hispide, striée ou poreuse, père-mère ou fille-fils, patientait, dans sa dormance, la traduction de l’aède.

     Oui la mer était partout, oui sa vie était entourée des eaux.

     Oui le pays était entouré des eaux (PréAlpes & Jura n’étant qu’une mer arrêtée, comme Alpilles), et les eaux entouraient sa vie.

Benoît Vincent "Féroce" ( Editions Bakélite 2024)