J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

dimanche 22 septembre 2024

Divagations/ 4

 

 
de mon étrange relation avec Virginia...

En parallèle de ces lectures, la décision d’emmener les participants de mes ateliers d’écriture dans ce sillon s’insinue, me taraude et très vite s’impose. D’ordinaire pour les trois ateliers que j’anime, les propositions ne se rejoignent pas, les profils n’étant pas les mêmes ; je travaille sur des ateliers différents, ce qui me demande de jongler mentalement dans des univers distincts. Là, je fais le pari de voguer toute l’année 2022-2023 entre les lignes de cette autrice dont je me suis enfin accordé le droit de lire. Les trajectoires proposées seront différenciées, selon le nombre de séances que j’anime avec chacun, mais toutes seront en lien avec Virginia. Dire que les participants accueillirent cette proposition avec joie serait légèrement fallacieux ! Lors de la première séance, où j’expliquais le projet, je sentis les visages se durcir, l’inquiétude et le doute les consumer. Je bâtis malgré tout mes séquences avec tact, tout au moins j’essaie, leur faisant découvrir peu à peu l’écriture envoûtante, pour moi, de Virginia, et les amenant à écrire à leur tour en abordant à leur manière le flux de conscience, les métaphores par exemple et d’autres particularités de son écriture. Dans un des groupes où j’avais cinq séances d’atelier, il y avait un professeur d’anglais à la retraite, qui avait pris soin pendant toutes ses années d’étude puis d’enseignement de se tenir très loin de cette autrice. Il fit donc la grimace à la première séance et m’envoya une lettre de félicitations et de reconnaissance lorsque le cycle fut achevé. Il la lisait désormais en langue anglaise, ce dont malheureusement je ne suis pas capable. Il faudrait parler longuement de ces ateliers que j’ai proposés mais cela m’entraînerait sur des sentiers un peu éloignés du but où je souhaite me rendre. J’y reviendrai peut-être. Je m’appesantirai sur un seul pour l’instant. Mais revenons sur les lectures qui ont nourri mon travail. Après La promenade au phare, je poursuivais avec Mrs Dalloway, que je relus donc mais avec une attention et un regard totalement autre qui me firent inscrire une petite étoile à son côté pour signifier l’importance de cette lecture. Je lus aussi des biographies d’Alexandra Lemasson, Viviane Forrester donnant une vision un peu différente du contexte familial. Je revins à La chambre de Jacob, puis Au hasard des rues, les lettres de Geneviève Brisac, Les années, sans compter différentes études sur l’œuvre, nécessaires pour mieux comprendre et me permettre de conduire mes ateliers avec plus d’intensité et de finesse.

Je découvre des oublis dans toute cette récapitulation, ou alors ai-je mal lu mes carnets d’achats et de lectures: le livre de Monique Nathan notamment, d’abord lu en numérique puis recherché sur un site de livres d’occasion, car je voulais pouvoir avoir accès aux photos des lieux où Virginia avait vécu, pouvoir me les représenter et rêver un peu autour d’eux, imaginer même un voyage à Londres pour découvrir les quartiers où elle avait déambulé, les paysages qui l’avaient hantée, à St Ives, à Rodmell... Ce petit livre dans la collection « écrivains de toujours », au Seuil reçu le 26 janvier 2023, avec une photo de Gisèle Freud en couverture, conserve et conservera j’imagine toujours, l’odeur caractéristique des échoppes de bouquiniste, cette senteur de renfermé qui s’accroche à la chair. Il a été publié en 1956 et les photos en noir et blanc lui confèrent un gage d’ancienneté et je ne sais pourquoi d’authenticité. Écrivant ce texte, je souhaitais  revoir les photos qui illustrent, et je ne peux m’empêcher de relire le texte en italique de trois pages, extrait d’Orlando, qui ouvre le livre de Monique Nathan ( Orlando que je n'ai pas encore abordé, mais dont il est bien dans mes intentions de le faire ! ). Je ne sais donc pas de quel endroit de l'ouvrage il provient, mais il nous plonge immédiatement dans le style d’écriture qui m’a séduite. L’humidité est au cœur de ce passage, qui s’étale se diffuse, imprègne tout objet (comme ce livre que je feuillette à nouveau) et qui se diffuse dans l’écriture même : …ainsi – car on ne saurait arrêter l’humidité, elle envahit l’encrier comme les boiseries – les phrases se gonflèrent, les adjectifs se multiplièrent, les poèmes lyriques devinrent épiques, et les bagatelles qui formaient jadis des essais d’une colonne prirent l’ampleur d’encyclopédies en dix ou vingt volumes.

 Le livre est conçu en deux parties : les grandes périodes de la vie de Virginia avec les thèmes qui lui sont chers, suivies d’un florilège de textes. Les photos, nombreuses montrent des lieux et des personnes, dont il est spécifié en lettres minuscules, à la fin de la bibliographie, que c’est grâce à Léonard Woolf que l’iconographie a pu être ainsi rassemblée. Je recherchais les lieux de vie de Virginia : la maison des étés de l’enfance à st Yves, l’entrée de la maison à Bloomsbury, Monk’s House à Rodmell, entrecoupés d’innombrables portraits d’elle, de membres de sa famille et amis, et de photos de paysages qu’elle affectionnait. Monique Nathan note, à propos de ces paysages anglais : Chez Virginia Woolf le paysage est beaucoup plus qu’un décor, c’est un milieu naturel, une réserve de symboles. Il ne se laisse pas détacher de son œuvre. Qu’il soit rude, doux, pittoresque, grandiose, peu importe.

(à suivre)

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Je me souviens très bien de l'année "Atelier-Virginia" qui a été intense profonde mystérieuse comme l'est Virginia Woolf et qui nous a entrainés sur des chemins de poésie de clairvoyance de surprise nous a déstabilisés aussi mais c'est le jeu… Découvrir les arcanes de ton travail en atelier est passionnant! Découvrir aussi en atelier comme il est difficile d'écrire, non pas d'écrire comme… mais trouver son écriture à soi… (Ben ce n'est pas fini)

Estourelle a dit…

Anonyme c'était Estourelle et j'ai cliqué trop vite