J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

jeudi 26 septembre 2024

Divagations/ 5

 

de mon étrange relation avec Virginia...

Ma relation avec Virginia semble apparemment chaotique, faite d’attirance et de rejet, il serait plus juste de parler de mise à distance comme si je pressentais qu’après une immersion dans cette écriture, rien ne serait plus vraiment pareil. On peut dire que j’ai tourné autour, prenant des chemins détournés, que j’éprouvais une forme d’envie mêlée à de la crainte, mais qu’elle est toujours restée présente, à portée de souffle et de main. Je sais que je n’ai pas tout lu, et que j’ai encore à découvrir et à rêver. Je viens d’ailleurs d’acheter Flush: Une biographie. Il était dans une caisse de livres soldés chez mon libraire favori, dans la collection Le bruit du temps, traduit par Charles Mauron. La citation sur la quatrième de couverture m’a convaincue, si besoin était : 

 C’était le paysage humain qui l’émouvait. Il semble que la Beauté, pour toucher les sens de Flush, dût être condensée d’abord, puis insufflée, poudre verte ou violette, par une seringue céleste, dans les profondeurs veloutées de ses narines; et son extase, alors, ne s’exprimait pas en mots, mais en silencieuse adoration. Où Mrs Browning voyait, Flush sentait; il flairait quand elle eût écrit. 


Je ne peux m’empêcher de tourner autour de la personne de Virginia, de sa biographie, de ses textes, de qui se dit ou s’écrit sur elle. Pour préparer les ateliers d’écriture, j’ai écouté avec intérêt, durant l’été 2022, les conférences enregistrées aux  rencontres de Chaminadour à Guéret en 2020, s’intitulant « Sur les grands chemins de Virginia Woolf » qui sont une mine d’informations et de réflexions. Beaucoup de spécialistes de l’œuvre de Virginia s’y rencontraient: Agnès Desarthe, Geneviève Brisac, Cécile Wajsbrot, et tant d’autres passionnés…Avec des vidéos évoquant sa biographie, son écriture, la traduction ou plongeant dans Une promenade au phare, Trois guinées ou Orlando. J’ai rempli des pages de notes dans ce carnet Clairefontaine, à la couverture aquarellisée de collines bleutées, dont je n’ai jamais retrouvé d’autres exemplaires…Et ces citations de Virginia, rapportées par les intervenants, et recopiées avec attention, puis entourées de vert dans le flux de la page pour les retrouver aisément:


À quoi bon écrire si on ne se sent pas ridicule.


Ce que je suis reste à jamais inconnu.


La vie c’est comme une bordure de trottoir au-dessus d’un gouffre.


J’ai eu ma vision.

 

J’ai suivi avec passion les analyses de son écriture, les réflexions sur l’utilisation de la parenthèse, la présence des sensations au cours de toute l’écriture, cette manière qu’elle a de rendre compte du chaos de la vie, comment elle parvient à faire disjoncter la langue, sa manière de dissoudre les genres jusqu’à désorienter le lecteur, les images inattendues  qu’elle offre en plein milieu d’une phrase avec ses « comme si » qui rythment Les Vagues notamment, et la difficulté qui en résulte pour la traduction.

 

La lecture de Instants de vie intervient juste après ce compagnonnage des vidéos, livre sur lequel je m’appuierai, notamment sur les deux premières parties, pour lancer le cycle d’atelier  que j’avais nommé « à l’ombre de Virginia Woolf ». Il rassemble des textes autobiographiques:
– « Réminiscences » est adressé à son neveu Julian qui vient de naître, elle raconte la vie de Vanessa, sa mère à lui, sa sœur à elle. Elle évoque la mort de leur mère Julia Stephen, la mort de Stella, la fille de Julia née d’un premier mariage. On est en 1907, Virginia Woolf a vingt-cinq ans
 – « Une esquisse du passé » est écrit trente-deux ans plus tard, elle a cinquante-sept ans, elle se suicidera dans deux ans. C’est le texte le plus long qui concerne sa vie, c’est-à-dire sa vie d’écrivain, plus rien n’étant laissé hors du champ de la littérature.

 Dans un premier temps, présentant le projet qui nous occupera durant une année, je donnais quelques repères biographiques, puis je leur proposais de découvrir des extraits de Instants de vie où elle évoque des souvenirs d’enfance, avec les fleurs rouges sur la robe de sa mère, la chambre des enfants à St Yves, le vol des freux, le voyage en train, les vagues… et puis ces périodes de « non-être » où l’on s’enfonce dans une sorte de ouate. À eux d’écrire en écho à ce qui venait d’être partagé.

Virginia Woolf, en notant ses « instants de vie » ( Moments of being dans le titre anglais)  met au jour, dans ce qu’elle appelle des « digressions », sa façon de saisir et de retenir les impressions que lui font les êtres, les lieux et les choses qu’elle côtoie. Elle explique comment se constitue sa réserve d’images, de sensations, de phrases à partir de quoi elle écrit.

                                 à suivre...

2 commentaires:

Estourelle a dit…

Je prends le temps de lire tes "divagations" qui me touchent toujours et qui résonnent; dans ce creusement d'un auteur il y a forcément un creusement de soi, et ça se sent bien dans tes mots! Je ressens ça aussi à l'écoute de G. D. Huberman, dans la recherche, l'étude, l'approfondissement qu'il fait de textes philosophiques, d'auteurs, il ouvre ainsi des passages, il NOUS ouvre des passages! des visions, des pensées qui s'élargissent…

Laura-Solange a dit…

Merci de tes retours qui encouragent!