J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

dimanche 28 décembre 2025

Le murmure

 


J’écris à voix basse comme parle le lilas dans la nuit profonde et qu’il donne les dernières gouttes de son sang mauve. J’écris comme les étoiles qui planent en ignorant les dormeurs dans leur lit, les puissants à leur whisky, les morts à leurs soupirs. J’écris comme on rêve. Qu’est-ce que tu as, qu’est-ce qui t’arrive, on dirait que ton visage rompt les amarres, qu’il prend le large, pourquoi, étant avec nous, n’es-tu pas avec nous ? 

 

J’écris comme on s’absente. Je cherche quelque chose ou quelqu’un. Un battement de cil d’une rose trémière, archiduchesse de l’air. Une parole brûlante qui fait éclater le vase du cœur. La neige, la harpe de la neige. Ou simplement le silence d’une cuisine vers les onze heures du soir, quand la vaisselle a revêtu sa tenue de lumière, que la totalité de notre vie se présente à nous, et la voir est insupportable. Nous sommes de si faibles architectures. Un rayon de lune et nos piliers tremblent, menacent de s’effondrer. J’écris comme se cachent les bêtes éprises de leur fin, blessées à mort par la beauté de vivre. 

Christian Bobin "Le murmure" ( Gallimard 2024) 

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