Je ne sais pas encore très bien où s'arrêtent les limites du monde physique. Par exemple, très souvent, le fond de ma pensée m'échappe et se disperse dans le corps comme si c'était lui, et non l'esprit, qui s'en nourrissait. Les livres m'auront beaucoup aidé à définir plus nettement ces limites. J'ai lu en tout cas en m'inspirant de ce petit oiseau, la sittelle,qui en une saison peut engranger jusqu'à trois cent mille graines, soit des dizaines de fois plus que ce dont elle aura jamais besoin. On dira que je fouille décidément beaucoup dans cette grosse valise à poignée qu'a été mon enfance, mais pourquoi diable vieillit-on, si ce n'est pour se rencontrer soi-même à nouveau? Toujours est-il qu'aujourd'hui encore la lecture me fait éprouver une sorte d'apaisement très semblable à celui qui s'était emparé de moi quand, à onze ans, j'avais aidé une vache à mettre bas. Lorsqu'en plein travail cette brave bête s'était penchée contre mon corps pour se faire consoler de tant de douleur, je m'étais senti extrêmement utile en ce monde.
Jean-François Beauchemin " Archives de la joie" Petit traité de métaphysique animale
(Editions Québec Amérique 2023)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire