J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

vendredi 10 janvier 2025

Divagations/ 15

 


Lorsque jai commencé d’écrire autour de Virginia Woolf, javais lintention d’évoquer le travail autour des Vagues mené dans lun de mes ateliers d’écriture.  Jai posté le premier texte le 10 septembre dernier et pensais vraiment n’écrire que cinq ou six « divagations » en lien avec ce travail mené dans les entours de ce livre. Et puis l’écriture ma entrainée ailleurs, laissant à distance ce travail là pour en évoquer un autre. Avant tout, tenter de dire comment cette autrice sest infiltrée en moi par des lectures (un peu anarchiques), pour parler ensuite de latelier mené sur une année avec deux groupes et leur permettre dentrer un peu dans l’écriture de Virginia Woolf, avec les difficultés mais aussi les plaisirs que cela procure. Ce n’était pas dans mon idée de départ de dévoiler les arcanes de la conception de mes ateliers d’écriture, mais cela sest construit ainsi et jai laissé faire. Je me dis quil est temps daborder ce qui était prévu, à savoir la lecture des Vagues et le travail autour. Je sens que cest pour bientôt !!! Mais avant, encore un pas de côté,  nous sommes dans des divagations nest-il pas vrai

 

J’ai écouté, et j’écoute encore les émissions de radio qui resurgissent de temps à autre. J’écris beaucoup aussi, l’évoquant à maintes reprises, dans des textes d’ateliers ou dans des écrits plus personnels. Ce texte ou plutôt ces fragments de textes que je livre ici. Il me semble que   dans l’atelier d’écriture quotidien en ligne, organisé pendant l’été 2024, dirigé par François Bon, où sur les 33 propositions que j’ai suivies  (sur les quarante), j’ai évoqué à plusieurs reprises Virginia, comme si je me dédoublais, ou comme si sa présence trop grande envahissait ma propre écriture. Voici un de ces textes où la proposition d’écriture tournait autour d’une photo en s’adressant au personnage dont  la photo s’est emparée, à sa posture, au cadrage, au hors-champ…

 

                                      je veux bien te parler encore

 

Feuilletant le petit livre que Monique Nathan te consacre, je me suis arrêtée net sur une photo de toi que je n'ai jamais vue ailleurs. Et pourtant il en existe de nombreuses autres, toi avec la tête penchée, toi avec Leonard, toi jouant au cricket avec Vanessa, toi et tes amis. Mais celle-ci, je ne l'avais jamais rencontrée. Tu es dans un jardin, un muret coupe la photo en deux dans son horizontalité et de hautes hampes de fleurs s'élèvent tout près de toi. Perché sur des herbes, une tache blanche, un chapeau de paille renvoie la lumière et réveille les tons de gris qui dominent partout ailleurs. Sur la gauche on devine un buste, un peu caché par les tiges de cette plante, dont je ne retrouve pas le nom, qui offre des sortes de plumeaux à ses extrémités ; si la photo était en couleurs je les aurais dits fuchsias. Le buste, enfin ce que l'on en voit est légèrement penché vers le sol, un visage assez impassible qui ne me donne nulle clé pour savoir de qui il s'agit. Mais ce qui importe, bien sûr c'est ta silhouette longiligne, dont on ne distingue que la partie supérieure, avec les bras repliés et les mains semblant s'effleurer qui se rejoignent.

Tu verticalises la droite de la photographie : c'est quand même toi qu'il est important de contempler. Un port de tête droit, fait ressortir un collier de perles dans l'échancrure du chemisier, les cheveux bien tirés vers l'arrière. Ton regard ! C'est lui qui importe bien sûr. Il nous invite à un ailleurs, ton ailleurs où tu te réfugies. Le monde que tu nous décris dans tes romans, celui où l'on bascule presque malgré nous, et dont on a du mal à revenir. Là, Virginia, posant pour cette photo — dont je ne saurais rien d'autre car l'origine, le lieu, le photographe ne sont pas notés comme si c'était une photographie venue de nulle part —, tu sembles dans tes pensées, déjà dans l'écriture des lignes qui se bousculent dans ta tête, absente comme tu savais l'être lorsqu'un projet d'écriture t'habitait, te prenait tout entière, t'aspirait dans ses filets. Sur la page en vis-à-vis, il est écrit en titre « je est un autre », avec un extrait de Entre les actes donnerait une manière de décoder le cliché sur la page de gauche: « C'est d'abord la belle Mrs Manresa, qui arrive inopinément à l'heure du déjeuner. Avec ses bagues, ses ongles vernis, son adorable petit chapeau de paille, elle est à l'image, dans toute sa personne « sursexuée» de la parfaite féminité. Un peu plus loin: Voici Dodge, son pareil, son complice, celui qui lit sur les lèvres, qui cherche les visages cachés. »

Quel est donc ce visage en noir et blanc, et à qui s'est-il offert ?

Virginia, combien d'autres es-tu ? Ton regard n'est pas tourné vers nous, mais vers cet autre toi-même qui donne vie à tous les autres. Tu es toi, mais tu es aussi tes personnages : c'est Clarissa, Isa, Rachel, Sara, tous ses personnages réunis dans cette silhouette, que l'on ressent d'une grande sensibilité. C'est un moment d'être que tu nous donnes à voir, et c'est à cette silhouette-là que je voudrais partager ma reconnaissance, mes remerciements, d'avoir été.

à cette silhouette-là,

ici mais aussi ailleurs,

proche et éloignée,

volubile et silencieuse,

sans défense et volontaire

disparue mais si actuelle,

Et si l'on pense qu'évoquer les disparus c'est les faire exister encore un peu, je veux bien te parler, encore.

 

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