J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

dimanche 6 avril 2008

Aube




Je ne sais rien de l'aube. Elle dévoile le jour et je reste cachée, elle déchire les lambeaux des ténèbres et je ravaude des rêves usés, elle chasse les fantômes émaciés et je suis encerclée d'horizons brûlés.
De l'aube, je ne sais que le poème de Rimbaud: " J'ai embrassé l'aube d'été". Et ce baiser donné à l'aube, ce baiser mille fois imaginé, goûté, dérobé, m'enserre dans ses voiles, balaie les remords, suture les blessures d'une mémoire éclatée, tisse des draps de soie où se cache mon désarroi. C'est dans la lenteur des sapins que je déambule: les yeux clos, je sens l'herbe fondre sous les pas de l'enfant, j'entends le souffle des pierres décrire le silence emmuré, je bois à la cascade de fleurs qui décrispent leurs pétales en riant. Dans la rosée du plaisir, une délicieuse larme d'aube éveille le cimetière des mots. Nul compagnon dans ma quête d'émotions: ni le coq qui n'est plus le premier à chanter les prémices d'un jour nouveau, ni les cloches d'église qui ne sanctifient que du vent, ni les ruelles désertes où ne se consument que des épluchures d'ennui. Seule, je goûte au parfum d'aube distillé dans les lauriers, au suc déposé sur des lèvres repues et, lentement, lape les idées noires du café matinal.

Texte écrit en 2000 pour les "dix mots" de la Semaine de la langue française et qui vient de faire partie de la sélection éditée par La Passe du vent: "Le dico des dix mots" recueil qui reprend les cent mots des dix dernières années.

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