J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

samedi 23 octobre 2010

Regard 36

Assise dans le fauteuil derrière la fenêtre, j’attends. Un afflux de voitures venant déposer leurs enfants au collège passe rapidement puis laisse place au calme coutumier. J’attends. Le cotoneaster à baies rouges, qui calfeutre poteau et escalier en ciment à l’entrée du jardin, ne délimite qu’un espace , un entre - deux  où se terre mon regard. A l’espagnolette de la fenêtre, le piège à rêves oscille avec mélancolie sous l’effet de la chaleur ascendante du radiateur. J’attends. Un étourneau traverse le cadre de vue: nul ne s’en aperçoit. Patientant, je feuillette quelques pages, m’arrête sur un poème, m’empare d’un mot ou deux éclairés soudain d’une lumière plus vive. Dehors cela se précise, la tension est palpable. La trainée blanche d’un avion attire le regard jusqu’à la dernière bouffée qui vacille et disparait. J’attends. Cela ne devrait tarder. Les mots du poète  caressent, creusent leur ornière, ensemencent les silences. Un merle froisse l’instant. A l’angle des deux toits de la maison en surplomb, le ciel devient plus blanc, les yeux se rétrécissent sous la force du soleil qui point et découpe la cime du cyprès: très nettement alors, je vois, dans le dessin des branches, le creux d’une guillotine esquissée. Je place ma tête sur l’appuie-tête du fauteuil de manière à  être saisie par le soleil sur cette arête là. Comment ne pas songer à “Soleil cou coupé” d’Apollinaire…J’attends le couperet.

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