J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

mercredi 22 décembre 2010

Julien Gracq

  
J’écris de manière trop intermittente pour avoir une seule méthode de travail : il m’est arrivé plus d’une fois de passer une année et davantage sans m’y remettre. Quand j’écris, je ne travaille pas avec régularité – pas d’heures fixes –, j’évite seulement le travail d’après dîner, qui entraîne immanquablement l’insomnie : je mets beaucoup de temps à me débarrasser l’esprit de mon écriture du jour. J’essaie simplement, si j’écris un récit ou un roman, de ne pas trop espacer les jours de travail, espacement qui rend plus difficile de reprendre le récit dans le ton exact où je l’ai laissé. Pratiquement, jamais plus de deux heures de travail dans une journée ; au-delà, j’ai besoin de sortir, d’aller me promener. Si j’écris un texte court, dont l’écriture demande à être très surveillée, la marche sert d’ailleurs souvent à la mise au point presque mécanique d’une phrase qui ne m’a pas laissé satisfait : elle produit l’effet d’une espèce de blutage. La phrase qui reste dans mon souvenir à la fin de la promenade – tournée et retournée le long du chemin – s’est débarrassée souvent de son poids mort. En la comparant au retour avec celle que j’ai laissée écrite, je m’aperçois quelquefois qu’il s’est produit des élisions heureuses, un tassement, une sorte de nettoyage.
J’ai plutôt des habitudes et quelques exigences matérielles. Je n’écris pas dans le bruit, dans les lieux agités et remuants, jamais dehors. Pas d’allées et venues ; une pièce close et tranquille, la solitude ; j’écrirais difficilement ailleurs que devant une fenêtre, de préférence à la campagne, avec une vue étendue devant moi, un lointain.

Julien Gracq "Entretiens" publié chez José Corti en 2002
Julien Gracq  est  mort le 22 décembre 2007. Pour se souvenir de lui, ce texte et beaucoup d'autres choses sur le site des éditions Corti d'où est extraite la photo.

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