La solitude, même voulue, nous laisse-t-elle jamais seul, dès lors qu'on a connu les hommes, les eût-on quittés pour se réfugier dans leur absence? Je réponds à des méls dans la nuit: l'humanité dont je tente vaille que vaille de m'isoler rejaillit dans ma chambre avec les mots que je martèle, elle investit, sonore, tout mon espace. Comme la pierre jetée dans l'eau, meut en surface des cercles concentriques qui, dans une ondulation progressive, vont s'écartant du point d'impact, une foule gagne graduellement sur ce qui m'entoure, emplit les armoires, le bureau de chêne, la commode en merisier, franchit les portes, les fenêtres, et vibre dans le jardin d'une vibration nocturne, assimilable au vol, de trame et de chaîne, des chauve-souris. On croit habiter, et seul, une maison, mais on habite, quoi qu'on en veuille, un amour universel, on vit avec ces hommes, ces femmes, qu'on aime, et dans chacun de leurs êtres. Et les demeures de pierre, embues de cette présence impalpable mais sensible, se révèlent pour le cloîtré plus vivantes et plus tièdes, plus charnelles , que jamais.
Lionel-Edouard Martin "Brueghel en mes domaines, petites proses sur fond de lieux" (publié chez Le Vampire Actif en octobre 2011)
D'autres extraits de ce livre lus sur le site du Vampire Actif.
1 commentaire:
Merci Laura pour le relai et la visibilité que vous donnez au dernier titre de Lionel-Édouard Martin dans votre espace,
Bien à vous,
Karine C.
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