Pierre noire et détrempée, remblais luisants, feuilles mortes, faubourgs d'industrie effilochés, abandonnés sous les hautes cheminées d'où plus rien ne s'échappe ( comment devrait-on dire? Cheminées muettes? Oui, c'étaient comme des paroles - pas une usine qui n'ait eu sa fumée dans les dessins que l'on en faisait enfant), puis une eau rapide et comme secrète, sauve, se sauvant, sur un lit de caillasses aux rives encombrées de branches mortes, des débris de sacs de plastique faisant des taches de couleurs vives un peu tremblantes - le train qui, après avoir franchi le Rhône en venant de Lyon monte vers Saint- Etienne, s'étire entre des collines le long d'une vallée presque étrange à force d'être sans charme: on a l'impression que tout ce qui est là n'a pas véritablement voulu y être et que nul non plus n'a eu la volonté de s'en débarrasser : ce serait comme une table de cantine mise il y a longtemps et dont rouilleraient ici ou là les gamelles, un peu diverties par l'apparition de quelques ustensiles flambant neufs cherchant à donner le change.
Et pourtant derrière cette absence d'attraits presque flagrante, c'est comme si s'insinuait une sorte de noblesse, de dignité: peut-être cette fierté propre aux terres ingrates, un liseré très fin, à peine dicible, passant clandestin entre l'abandon et la résistance. Jean-Christophe Bailly "Le dépaysement"
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