Ce n'est pas moi qui vais vers le poème, c'est lui qui vient vers moi. Cela commence par un son, un rythme, une image et j'ai soudain le désir, l'espérance d'écrire un poème. Je ne sais d'où surviennent ces sensations inattendues, je vois seulement qu'elles sont en mouvement et que, pour les retenir, je dois me faire mouvant comme elles. Je m'avance dans la  pesanteur et la liquidité des mots, j'entre dans leur jeu. J'entrevois que si je parviens à quitter mes chemins battus je pourrai, par attirances et dissociations, assonances et dissonances découvrir entre eux des convenances et des ruptures qui me sont encore étrangères.
Je me sens guidé par un rythme d'abord confus mais auquel je dois me conformer, par un son de voix que je reconnais peu à peu pour le mien lorsque j'ai la fermeté suffisante pour l'attendre et pour l'écouter.
C'est un moment de bonheur où je communique avec une profondeur, avec un immense passé, tout en me dirigeant, de façon imprécise mais certaine, en avant.

Henry Bauchau " L'Ecriture à l'écoute" ( Actes Sud 2000)
1913-2012