J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

jeudi 12 février 2015

Acqua alta

La lente avancée du bateau à travers la nuit était comme le passage d'une pensée cohérente à travers le subconscient. Des deux côtés, baignant dans l'eau d'encre, se dressaient les énormes coffres sculptés de sombres palazzi remplis d'insondables trésors - de l'or assurément, à en juger par la faible lueur électrique jaune qui sourdait parfois par la fente des volets. L'atmosphère de tout cela était mythologique, cyclopéenne pour être précis : j'étais entré dans cet infini que j'avais contemplé sur les marches de la stazione et voilà que je passais au milieu de ses habitants, devant une troupe de cyclopes endormis reposant dans l'eau noire et qui, de temps à autre, se dressaient et soulevaient une paupière.
(...) Puis le ciel fut momentanément obscurci par l'énorme parenthèse de marbre d'un pont, et soudain tout fut inondé de lumière.

Joseph Brodsky "Acqua alta" ( Arcades Gallimard)

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