J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

samedi 4 avril 2015

Les papiers de Jeffrey Aspern



Sans rues et sans véhicules, sans le bruit des roues ni la brutalité des chevaux, avec ses petites voies tortueuses où les gens s’attroupent à la moindre occasion, où les voix résonnent comme dans les corridors d’une maison, où les passants circulent soigneusement comme pour respecter les angles d’un mobilier, et où les chaussures ne s’usent jamais, la ville donne l’impression d’un immense appartement collectif, dans lequel la place Saint-Marc est la pièce la plus ornée, et où les autres constructions, palais et églises, jouent le rôle de grands divans en repos, de tables de jeux de société, de motifs décoratifs. Et, en quelque façon aussi, le splendide domicile commun, familier, domestique et sonore, ressemble encore à un théâtre avec ses acteurs sautillant sur les ponts et trottinant le long des fondamenti en procession décousue. Tandis que vous demeurez assis dans votre gondole, les trottoirs qui, à certains endroits, bordent les canaux, prennent l’importance d’une scène, qui se présente sous l’angle habituel, et les personnages vénitiens, allant et venant devant le décor éraillé de leurs petites maisons de théâtre, vous représentent les membres d’une troupe dramatique infinie.

Henry James " Les papiers d'Aspern" ( Publie.net)

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