J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

samedi 28 mai 2016

un monde à découvrir

poussière d’étoile
sous les ongles

ouvrir la main
il pleut des riens

errer le long du murmure
que peuvent les pauvres mots

Cette rubrique Détourtweets comme une deuxième vie pour des messages récoltés çà et là... (merci au compte tweeter de Brigetoun !)

lundi 23 mai 2016

Mémoire de fille



Le temps devant moi se raccourcit. Il y aura forcément un dernier livre, comme il y a un dernier amant, un dernier printemps, mais aucun signe pour le savoir. L’idée que je pourrais mourir sans avoir écrit sur celle que très tôt j’ai nommée « la fille de 58 » me hante. Un jour il n’y aura plus personne pour se souvenir. Ce qui a été vécu par cette fille, nulle autre, restera inexpliqué, vécu pour rien.
Aucun autre projet d’écriture ne me paraît, non pas lumineux, ni nouveau, encore moins heureux, mais vital, capable de me faire vivre au-dessus du temps. Juste « profiter de la vie » est une perspective intenable, puisque chaque instant sans projet d’écriture ressemble au dernier.
Que je sois seule à me rappeler, comme je le crois, m’enchante. Comme d’un pouvoir souverain. Une supériorité définitive sur eux, les autres de l’été 58, qui m’a été léguée par la honte de mes désirs, de mes rêves insensés dans les rues de Rouen, du sang tari à dix-huit ans comme celui d’une vieille. La grande mémoire de la honte, plus minutieuse, plus intraitable que n’importe quelle autre. Cette mémoire qui est en somme le don spécial de la honte.
Je me rends compte que ce qui précède a pour but d’écarter ce qui me retient, m’empêche, comme dans les mauvais rêves, de progresser. Une façon de neutraliser la violence du commencement, du saut que je m’apprête à effectuer pour rejoindre la fille de 58, elle et les autres, les replacer tous dans cet été d’une année plus lointaine aujourd’hui que ne l’était alors celle de 1914.

Annie Ernaux "Mémoire de fille" ( Gallimard mars 2016)

vendredi 20 mai 2016

ce que j'ai ramassé

Je suis sur un mont où le vent est le maître. Une route forestière conduit à une source où j'aime revenir, je reste au bord du chemin et contemple. A mes pieds un amoncellement d'écorces enroulées sur elles-mêmes: je cherche des visages dans ces résidus de bouleaux abandonnés, émiettés et rougis. Je prends avec délicatesse une écorce entre mes doigts, puis une autre et me retrouve en peu de temps avec un sac rempli. Cela ne sert à rien, mais il y a ces veines de lumière qui serpentent et l'écriture du vent quand la phrase se cherche.


Texte écrit pour la consigne 391 de Kaléidoplumes

mercredi 18 mai 2016

en bel abri

emperlée de pluie
tu écouteras
l'automne d'un hortensia
c'était la petite musique de la mère
qui sans doute encore en nous demeure

lundi 16 mai 2016

Ligne & Fils

Les roches brutalisent et contraignent l’eau. L’eau cave les roches, se sculpte un passage, opiniâtre. Je recueille ce combat multimillénaire, parfois bouillonnant, parfois si calme qu’il se fait oublier, dans des photos impuissantes, car cette guerre est bien trop lente, ou trop rapide, pour le regard. Mais il en reste des preuves si belles, les stigmates évidents de la tendresse patiente des pierres, sur lesquelles l’usure et le temps de l’eau impriment des gravures toutes en courbes, et les traces si amusantes de la trempe courageuse de l’eau, ces menus changements d’itinéraire des lits des rivières, visibles dans un retrait de saison sèche, ces herbes couchées, ces détritus perdus, que je continue à photographier les épousailles contrariées de la pierre et de l’eau.
Les traces des sédiments conservées dans les rochers solides parlent de la vitesse du courant. Quand l’eau traverse assez longuement la roche pour la graver, elle fabrique de l’archive. Il existe une vitesse minimale pour qu’un flot transporte, plutôt que dépose, des sédiments. Il me semble que mes photos disent cette petite vitesse du charriage, l’écoutent. Jamais la musique du courant ne m’a déçue, qu’il soit minime et murmurant ou presque assourdissant, et, dans mes photos, je l’entends. J’entends le tendre accueil de l’entêtement de l’eau par ces pierres réputées dures, dont la malléabilité apparaît pourtant si clairement, mais des milliers d’années plus tard. J’entends le tempérament de l’eau, trop impatiente pour attendre si longtemps. Elle hausse sa surface, elle joue des coudes, des virages, vive devant les obstacles , et déborde et revient, en ramenant depuis son lit brouillé des souvenirs de ma famille. Je l’entends cogner aux baies de la fabrique, la provoquer, comme au temps de mon arrière-grand-père, quand la Ligne envahissait tous les bâtiments, passait au-dessus des prises, annulait les béals et niait des journées entières de travail. Je l’entends sourdre de la porte des caves de mon immeuble, et grimper quelques marches des escaliers, quand la Baume lève et prend sa hauteur d’automne. Je l’entends redescendre, se borner dans ses rives, sagement arrondir et polir le Petit Rocher où je baignais chaque été mes regards curieux de petite fille et vers lequel, si je n’avais pas eu si froid dans mon enfance, j’étais supposée nager.

Emmanuelle Pagano " Ligne & Fils" (POL 2015)

dimanche 15 mai 2016

entrer dehors


longer du doigt les strates des mots emmurés dans la langue, donner du jour , ouvrir à un dehors. à chaque mot un blanc se donne autour pour une implosion lente, une marge circulaire repousser le réel. le poème s'ouvre , sort de sa gangue, assoiffé de sa propre soif.

jeudi 12 mai 2016

Textes d'Ombre



Elle cherchait seulement un lieu plus ou moins propice pour vivre, je veux dire : un petit endroit où chanter et pouvoir pleurer tranquille parfois. En vérité elle ne voulait pas une maison ; Ombre voulait un jardin.
– Je suis seulement venue voir le jardin — dit-elle.
Mais chaque fois qu’elle visitait un jardin elle vérifiait que ce n’était pas celui qu’elle cherchait, celui qu’elle voulait. C’était comme parler ou écrire. Après avoir parlé ou écrit elle devait toujours expliquer :
– Non, ce n’est pas cela que je voulais dire.
Et le pire c’est que le silence aussi la trahissait.
– C’est parce que le silence n’existe pas — dit-elle.
Le jardin, les voix, l’écriture, le silence.
– Je ne fais que chercher et ne pas trouver. À cela je perds les nuits.
Elle sentit qu’elle était coupable d’une chose grave.
– Je crois aux nuits — dit-elle.
À quoi elle ne sut se répondre : elle sentit qu’ils lui clouaient une fleur bleue dans la pensée afin qu’elle ne suive pas le cours de son discours jusqu’au fond.
– C’est parce que le fond n’existe pas — dit-elle.
La fleur bleue s’ouvrit dans son esprit. Elle vit des mots comme des petites pierres disséminées dans l’espace noir de la nuit. Ensuite passa un cygne à roulettes avec un grand noeud rouge autour du cou interrogatif. Une petite enfant qui lui ressemblait montait le cygne.
– Cette petite enfant c’était moi — dit Ombre.

Ombre est déconcertée. Elle se dit qu’en vérité, elle travaille trop depuis qu’est morte Ombre. Tout est prétexte à être un prétexte, pensa Ombre assombrie.

Alejandra Pizarnik " Textes d'Ombre" 
traduction Etienne Dobenesque ( Ypsilon.éditeur) 

En écho aux mots d'Alejandra Pizarnik, un texte écrit dans "aux marges du jardin"

mardi 10 mai 2016

Planche




Au départ du poème, il y a toujours un événement, un choc qui ébranle le cœur, le corps, la mémoire, la langue. J'écris en contre: vivre est premier. Un poème comme un contrecoup de langue à partir d'un coup de vivre.
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Aller au plus simple. Pas de stuc, pas de dorures. Bien sûr que cela donne des poèmes de peu, mais que m'importe si j'entends sonner en eux du vrai, et pas du toc?
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Je n'arrive plus à me démêler. Faux. Je n'arrive plus à écrire les noeuds, c'est différent.
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Dans mon travail, je vois d'abord l'humain, l'expérience: le poème est un vecteur, un porteur, un medium...Mais si j'ai choisi le sherpa poétique plutôt qu'un autre, c'est parce que je crois qu'il est seul capable de porter une telle charge. Je n'idéalise pas la poésie; elle reste le genre littéraire, si cette notion signifie encore, capable de s'aventurer le plus loin possible dans l'expression de vivre.
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On a tort de ne retenir que les mots; le blanc de la page importe et contient bien davantage. Disons tout le reste, tout ce qui n'a pas été écrit. La poésie me semble le seul genre littéraire à faire jeu égal entre parole et silence. Avec un bon usage des marges et des blancs, il n'y a pas d'indicible. Par contre, l'emploi du silence doit être aussi rigoureusement mesuré que celui de la parole.

Antoine Emaz " Planche" ( Editions Rehauts mars 2016)

mardi 3 mai 2016

Dixit Paumée



vivre, sensible à la lumière au temps indifférente aux regards, évoluer, accueillir les transformations que l’on nomme vieillissement, savoir que l’on est chimie, affronter, supporter les limites physiques, être en son essence, quelque chose de terrible en moi, tout au fond, sous tout ce qui a prétendu en receler du terrible, là, bien caché, dur comme un diamant, ces chairs et organes où ils ont trouvé des choses que l’on disait terribles, et assise devant des yeux bleus j’acquiesçais, oui puisque terrible c’était il fallait qu’avec leur aide je m’en débarrasse, et trois bouts de moi sont partis, ne devrait plus rien avoir de terrible en moi mais voilà, il y a cette petite chose terrible, enfouie cachée, intacte, inaltérable, dure, entêtée, oubliable mais qui se réveille chaque fois qu’elle se sent contestée et qui alors ne dit rien mais doucement reprend le commandement général : la vie, la vie, la vie, son amour inavoué, petit noyau de force inattaquable et si sure d’elle qu’elle arrive à rendre joyeux les combats…
 vivre, être sorcière pour capturer ce que je sens qui me frappe me plaît en avançant dans mes journées, et le garder distillé, transformé en huiles, en essences, en parfums mis en de petits flacons pour ma délectation avec un sentiment de culpabilité mais vague, léger, sans virulence, entre jubilation et douleur, avoir des sursauts des colères des joies brusques mais ne pas bouger, ne pas brusquer ce paquet que la vie vous a confié, attendre, avec une plénitude un peu bovine, un regard presque opposé sur le monde, un point de vue résolument d’en bas, recroquevillée en nid de pierre le sentiment d’être au coeur de la terre, se pencher pour prendre une brindille, la coincer entre ses dents, sourire, siffloter si l’on peut et plisser un peu les yeux dans la poussière, aimer ce qui est là, la réalité devant vous, et découvrir, en levant de temps en temps les yeux pour rêver devant la vue, des textes qui ne seraient pas encore écrits…

le temps a passé
au creux au bout de l’ennui
ma part d’ombre est en chemin
je vieillis

extrait d'un Cut-up d'Anh  Mat pris dans "Dixit Paumée" publié chez Publie.net
 ( Certains des visiteurs de PAUMÉE[brigetoun.blogspot.com] prennent ses mots à cœur, à tel point qu’ils les ont pris au sens propre, comme on s’empare d’une matière fertile.
Ainsi, dans ce qui suivra, vous ne lirez QUE les mots de BRIGITTE CÉLÉRIER, mais réagencés différemment, façon CUT-CUP.
D’une certaine manière on pourra donc dire que DIXIT PAUMÉE est écrit par BRIGITTE CÉLÉRIER sans BRIGITTE CÉLÉRIER )


lundi 2 mai 2016

au gré du vent

derrière le rideau
des ombres blanches
ouvre un livre au hasard
entre les peines et les sourires
                                                 un coussin de soleil

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