Ce matin, j’ai accompli un long voyage : je suis allé au fond du
jardin et j’ai revu le fleuve, les berges du fleuve, les arbres immenses,
cet éclat soudain du rivage qui a surgi comme une image ancienne sortie
d’un vieux tiroir, oubliée depuis des lustres, jaunie, flétrie mais
toujours séduisante, de cette beauté d’un autre temps, légèrement
surannée. Ont grondé aussitôt dans le silence de ce jardin, le brouhaha
de la petite foule qui s’échine là-bas depuis des siècles, l’écume des
eaux plissées, celle des linges que l’on lave à grand renfort de rires
et de cris. Dire cette foule lasse, enthousiaste, défaite, ses ardeurs,
dire mon entêtement pendant des années cheminer à travers cela, porté
par le désir, l’insouciance, le pur hasard, et puisant là le meilleur de
ce qui pouvait m’advenir. La fatigue et la ferveur, tout cela
entremêlé, indissociable. Les routes buissonnières sont d’un
enseignement inestimable.
Joel Vernet
La vie buissonnière ( Fata Morgana 2017)
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