Pourquoi le sentiment s’est-il ancré en moi de bonne heure que, si le
voyage seul - le voyage sans idée de retour - ouvre pour nous les portes
et peut changer vraiment notre vie, un sortilège plus caché, qui
s’apparente au maniement de la baguette de sourcier, se lie à la
promenade entre toutes préférée, à l’excursion sans aventure et sans
imprévu qui nous ramène en quelques heures à notre point d’attache, à la
clôture de la maison familière ? La sécurité inaltérée du retour n’est
pas garantie à qui se risque au milieu des champs de force que la Terre
garde, pour chacun de nous, singulièrement, sous tension ; plus que par
le « baiser des planètes », cher à Goethe, il y a lieu de croire que la
ligne de notre vie en est confusément éclairée. Parfois on dirait qu’une
grille en nous, plus ancienne que nous, mais lacunaire et comme trouée,
déchiffre au hasard de ces promenades inspirées les lignes de force qui
seront celles d’épisodes de notre vie encore à vivre.
Julien Gracq
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