J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

mardi 30 janvier 2018

Flou

parfois je reste dans le noir
invisible, infini, inutile
un battement de peu
juste une frange de moi-même
un point bleu
d’un petit rien embroussaillé

  Cette rubrique Détourtweets comme une deuxième vie pour des messages récoltés çà et là... (merci au compte tweeter de Brigetoun !)

lundi 29 janvier 2018

Navigations / 4

Egarements \ 

S’orienter semblerait être la priorité absolue quand on est en mer. Lorsqu’on navigue, l’orientation est la condition de la survie. Et pourtant, ce n’est pas si simple. Car c’est l’ambiguïté entre orientation et égarement qui fait le charme du bateau. On vit en ayant l’impression que tout point de repère est en même temps un piège, puisqu’il ne donne qu’une idée vague, monodimensionnelle de l’espace. Le marin aime cette incertitude, en fait sa liberté. Un marin doit toujours être dans l’équilibre complexe entre savoir où il est et l’ignorer. Il lui faut ce minimum de connaissance sur sa position qui lui permet de ne pas mourir, tout en restant dans un maximum d’ignorance qui lui permet de tracer ses propres trajectoires. Finalement, la seule chose qui compte vraiment en mer, c’est de savoir où l’on n’est pas : il ne faut pas être sur les cailloux, voilà ce qui est sûr. Pour le reste, peu importe ! C’est cette ivresse sobre que j’adore. C’est une ignorance savante, un égarement orienté.

Marcello Vitali-Rosati " Navigations" Editions Publie.net 

samedi 27 janvier 2018

Tessons/ 4

j'écoute une voix

me détacher du réel 
 
de ce qui sera sa floraison

casser le rythme des rênes de mon corps

redorer le dehors d’une lumière du dedans

laisser infuser le soleil sur les routes marginales


j’écoute une voix et me calfeutre dans cet écart

vendredi 26 janvier 2018

Navigations /3

Enchantement \ 

Il y a probablement quelque chose de poétique dans l’histoire d’Eugen et c’est cet aspect qui me pousse, peut-être, à l’écrire. Mais pourquoi ? Qu’est-ce qui peut être poétique dans l’histoire d’un échec, d’un malheur, d’une souffrance, d’une douleur ? Peut-être est-ce l’insouciance, le fait de regarder ce qui pourrait sembler une tragédie avec un œil détaché et enthousiasmé à la fois. Le fait de sembler éloigné des circonstances qui détruisaient systématiquement sa vie donnait à Eugen un air rêveur. Il était capable de vivre dans l’enchantement, rien ne pouvait le désenchanter. Même pas le fait qu’Alina I. ne voulait plus rien savoir de lui, même pas le fait qu’il était traqué, sans un sou, sans travail, sans aucune possibilité de se sauver. Dans un tunnel sans issue, Eugen regardait le monde et il était encore capable de se laisser émerveiller. Il regardait, plein d’admiration, les poèmes écrits sur les murs de l’appartement de Peppe, oubliant l’odeur d’humidité qui les accompagnait.

Marcello Vitali-Rosati " Navigations" Editions Publie.net 

jeudi 25 janvier 2018

Navigations 2

Venise \
« J’y suis, pour de vrai », pensait Eugen. Difficile de savoir comment il était sorti du commissariat, depuis combien de nuits il n’avait pas dormi, depuis combien de jours il n’avait pas mangé. Pour arriver, vraiment, il lui restait — on parle toujours à vol d’oiseau — 6 846 km. Mais, quand il descendit à Santa Lucia, ces questions lui parurent décidément secondaires. Sans perdre de temps, il suivit le flux de la foule, traversa des ponts, s’égara dans des calli pour essayer de tout voir, s’arrêta à bout de souffle sur le Canal Grande, les yeux écarquillés au passage d’une gondole — cela existait donc, ces drôles de bateaux et cette ville qui a des fleuves à la place des routes, et ces palais aux fenêtres étroites, il y était pour de vrai. Quand il me racontait son arrivée à Venise, j’étais assez perplexe. Cela m’a toujours semblé un peu trop littéraire. « Avec la police internationale qui te traquait, tu faisais le touriste à Venise ? » « Ça m’a donné une sensation de bien-être. »

Marcello Vitali-Rosati Navigations Editions Publie.net


mercredi 24 janvier 2018

Navigations 1


       Flaubert \
J’ai essayé plusieurs fois de lire l’Éducation sentimentale. Sans succès. J’y trouvais quelque chose d’insupportable, de honteux. J’avais quinze ans quand j’ai essayé pour la première fois, c’était une édition italienne. Pendant un long séjour en Normandie, j’ai essayé à nouveau, en français cette fois. Mais je n’arrivai pas à aller au-delà de l’apparition de Madame Arnoux — à la page 7 de mon poche. D’autres tentatives ne donnèrent pas de meilleurs résultats. Jusqu’au moment où je l’ai lu, en entier, en deux jours. Adoré. Ce qui me semblait insupportable était devenu superbe. Un certain goût de l’échec, la banalité quotidienne de la plus totale faillite… L’acceptation du fait que tout désir est destiné à la frustration, que la vie entière sera un fiasco et — ce qui était le plus insupportable pour moi, adolescent — que, finalement, ce n’est pas très grave. Il n’y a rien d’héroïque dans la patience de l’échec le plus éclatant. Il faut avoir au moins trente ans pour apprécier Frédéric.

Marcello Vitali-Rosati "Navigations" Editions Publie.net

lundi 22 janvier 2018

Tessons/ 3




il y a de la grisaille

dans ce dehors 
 
où je ne serai pas
 
je sais un peu du jour

avec les ricochets des oiseaux
 
derrière la fenêtre

qui m’obstrue

vendredi 19 janvier 2018

Tessons/2




de l'autre côté de la fenêtre
l' envie d'un jour d'hiver
quelques pépites de ciels
aux voix paisibles
me creusent en désir
j'erre un peu en apnée
pourquoi n'irai-je jamais plus loin que le seuil

mercredi 17 janvier 2018

Tessons /1


penser en mode écrit

à grands coups de rames

franchir des portes

à chaque instant la lumière

                                       abritée à l’intérieur de l’ombre

remonter l'oubli à
 
l'instant  du silence qui respire
 



samedi 13 janvier 2018

Hodie, arc-en-ciel


sur la toile d'un jour sans importance, un jour qui se serait effrité entre les doigts sans un peu de désir, il y a un bref instant où le regard s'arrête et se perd dans l'étroite lumière d'un jardin suspendu. une virgule irisée qui ponctue le ciel, un fruit éphémère qui s’éprend d’un ciel, s’alanguit avant de s’éteindre sans qu’on ne le sache, un simple dessin d’enfant joyeux. rester droit dans cette accalmie immobile, dans la brièveté de l’instant qui prend toute la place dans ce jour , faire face et rêver à l’accomplissement d’une métamorphose debout contre le vent.

jeudi 11 janvier 2018

Une très légère oscillation



Je crois à la mémoire des pierres. Elles absorbent l'écho des conversations, des pensées. Elles incorporent l'odeur des hommes. Les pierres sauvages des grottes et les pierres sages des églises rayonnent d'une force mantique. On est toujours saisi quand on pénètre sous une voûte de pierre qui a abrité les hommes.

Sylvain Tesson "Une très légère oscillation Journal 2014-2017 ( Equateurs 2017)

dimanche 7 janvier 2018

avancer

on oublie

les jours de désarroi

on glisse 

sur les silences

                               la verticale se ressaisit 
 
on amarre les ailes de lumière
 
au carrefour de l'impensable

on sort et 

recommence

  Cette rubrique Détourtweets comme une deuxième vie pour des messages récoltés çà et là... (merci au compte tweeter de Brigetoun !)