J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

mardi 10 juillet 2018

Bruits

L’orage semble à bout de forces, l’eau s’écoule encore un peu de la toile qui protège la terrasse du café avec un clapotis qui fait presque sourire. Un employé passe une raclette pour évacuer le trop plein d’eau qui s’est insinué: le frottement répété du balai , les gouttes d’eau qui tombent avec régularité puis finissent par se raréfier pourraient s’inscrire sur une partition …. Attendre encore un peu avant de repartir. Les conversations vont bon train à la table voisine – des vies sont déballées sans pudeur – , une fenêtre s’ouvre sur l’immeuble en face et laisse s’échapper le son d’un violon où l’archet n’est pas très sûr et les gammes hésitantes, des passants marchent seuls, téléphone collé à l’oreille et parlent fort, trop fort pour celui qui n’a rien à faire de leur soliloque encombrant – on se souvient de ces vieux qui parlaient tout seuls dans la rue et on s’éloignait par précaution ou on riait – , des martinets ou des hirondelles reprennent leur ballet avec des cris stridents, le tintement du tram au loin comme un rappel du lieu où l’on est, un triple éternuement secoue toute la ruelle – un ogre sans doute – et fait rire un groupe de jeunes gens près de la fontaine parlant des sujets du bac philo passé le matin, la sirène d’un camion de pompier prend le relais – mais la caserne n’est plus sur la place depuis quelques années déjà – , au loin les cris virulents des enfants qui sortent enfin dans la cour de récréation et se libèrent de tous les mots enfermés et contenus pendant les heures de classe , se mettre à écouter vraiment toute cette nappe sonore et se dire qu’écrire les bruits c’est leur donner de l’ampleur , alors chercher avec acuité les bruits infimes, ceux que l’on ne remarque plus dans le quotidien: une chaise qui racle le sol, des verres qui s’entrechoquent derrière le bar, des pièces de monnaie qu’on pose dans la coupelle sur la table, un verre qu’on repose un peu vivement; passer d’un son à un autre, y chercher un rythme , une harmonie, quelque chose qui s’allie au corps, aux battements de cœur…. Sans réfléchir, emboiter le pas de cet homme qui a sifflé quelques notes en passant devant la terrasse et marche avec noblesse, se glisser dans cet inattendu, en murmurant quelques mots de Virgile “ La déesse se reconnait à son pas”….
9 ème texte (correspondant à la proposition d'écriture de la vidéo 9) pour  l'atelier d'écriture d'été animé par François Bon sur son site Tiers-Livre: " Construire une ville avec des mots".

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