C’est
peut-être ça revenir, sentir que quelque chose se rapproche en un
malaise indistinct, une petite appréhension qui sourd, des
battements de cœur qui semblent s’accélérer et se dire qu’il
vaudrait peut-être mieux faire demi-tour… Grimper à nouveau les
trois étages, la main sur la rampe, et le cœur qui s’emballe,
tourner la poignée de la première porte, appuyer sur celle de la
seconde , enlever sa veste ou son manteau, l’accrocher à la patère
de l’alcôve, enfiler ses pantoufles, contourner la demi-cloison du
côté gauche et retrouver le petit bureau tout près de la fenêtre
dans la cuisine, minuscule univers avec
l’importance du bureau, de son espace à soi , le premier ,
du formica orange , avec deux tiroirs sur le côté droit, meuble
vintage aujourd’hui, dedans les crayons, stylos, carnets, breloques
d’enfant, petits bouts de rien conservés, caressés, accumulés –
pas de poignées aux tiroirs , ils se tiraient par dessous avec un
léger bruit dû au frottement – le premier poème écrit caché là
dans un carnet – rouge le carnet – le premier vers:
assis sur un vieux
pouf, éventré, large et noir –
premier alexandrin suivi de dizaines d’autres –
fierté de l’avoir écrit en l’honneur d’un vieil homme tant
aimé – avec le stylo encre rouge mordoré par lui offert qui se
glisse entre les doigts d’enfant – sur le bureau les cahiers et
les livres de classe bien rangés sur le côté gauche adossés à
l’étagère et la bouteille d’encre où emplir le stylo et les
gestes afférents où s’inscrit l’odeur du caoutchouc de la pompe
– le regard porté sur la demi-cloison où deux ou trois cartes
postales disent la mer ou la montagne de quelqu’un d’autre – à
droite la lumière qui donne du jour une idée – sur la planche
accrochée à la cloison d’autres livres des couvertures vertes
roses ou blanches, lus et relus jusqu’à usure – les serre-livres
éléphants en bois – l’album de timbres bleu outremer avec ces
carrés et rectangles de papier gommés ou tamponnés qui portent
loin les rêveries – et des clous plantés là sur la tranche de la
planche avec ces porte-clés qui pendouillent , collection d’une
époque pour se sentir à la mode, faire comme tout le monde – dans
l’au-delà de la cloison un autre bureau celui du frère avec les
bruits qu’on épie – parfois une question, la demande d’un
crayon ou d’une gomme, se lever , faire passer par-dessus la
cloison l’objet en question en demandant expressément de ne pas
l’user – derrière un peu sur la gauche le chuchotement de
la radio et les pages d’un journal qui se tournent ou une chaise
qui est tirée, un tiroir ouvert, une casserole déplacée – chaque
univers de chacun clos sur des pensées qui ne se diront pas...
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