Il
est des jours à
tendance
d’autisme où
elle n’attend rien de personne, et même bien au-delà, où elle ne
souhaite que nul
ne lui parle ou l’approche. Elle ne peut qu’errer entre un réel
qu’elle ne peut fuir totalement et un rêve où elle espère encore
un peu trouver une raison d’être. C’est mercredi,
le jour des bouquinistes sur la place principale de la ville, alors
elle rejoint ce dehors pour dénicher un dedans supportable. Les
mains dans les bacs à livres, le regard enfoui pour ne pas être
interpellée, elle fouine. D’autres mains, près d’elle,
s’activent de même. Les quatre mains
farfouillent dans le bac à littérature. Des mains larges, pâles,
emplies de taches brunes, encore fermes et pleines de cette énergie
dont elle se sent parfois démunie. Elles s’emparent d’un
ouvrage avec tendresse, le feuillettent, le tiennent sans trembler le
temps d’une lecture de quelques phrases, puis tournent
les pages et s’immobilisent
un peu plus loin. La personne à côté d’elle doit être grande ,
elle sent une présence imposante la côtoyer, même si elle ne lève
pas le regard vers
elle.
Elle
a reconnu la collection de l’éditeur.
Elle
tente de déchiffrer le titre du livre qui requiert l’attention de
son voisin, se dit que s’il le repose, elle s’en emparera; pour
l’instant elle n’a rien trouvé à se mettre sous la dent; elle
espère beaucoup du hasard
qui libère
. Elle
entend ou croit entendre son voisin lire à haute voix quelques
lignes, elle tend l’oreille; cela fait comme une psalmodie. Elle ne
veut pas le regarder. Il lit un peu plus fort;
peut-être pour elle. Elle
ne sait pas ce qu’il dit, mais sait que ce livre, elle le veut. Il
ne lit plus, il lui pose une question qu’il répète un
peu plus fort
et attend une réponse: Vous
connaissez cet auteur?
Elle porte alors le regard sur la couverture, lit Edmond Jabès et
murmure qu’elle ne l’a jamais lu. Alors,
n’attendez plus !
lui répond-il d’une voix souriante et il glisse l’ouvrage entre
ses mains. Le temps de déchiffrer le titre, l’homme s’est
éloigné, elle ne voit de lui que son dos très droit sur de hautes
jambes , dans une tenue d’été claire et vaporeuse; une chevelure
blanche et soignée comme chapeau d’été. Sans autre réflexion,
elle prend Le
livre des questions,
paye et repart le pas plus léger.
Deuxième partie du 29ème texte (correspondant à la proposition d'écriture de la vidéo 29 ) pour
l'atelier d'écriture d'été animé par François Bon sur son site
Tiers-Livre: " Construire une ville avec des mots".
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