J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

vendredi 31 août 2018

Rencontrer/ 2

Il est des jours à tendance d’autisme où elle n’attend rien de personne, et même bien au-delà, où elle ne souhaite que nul ne lui parle ou l’approche. Elle ne peut qu’errer entre un réel qu’elle ne peut fuir totalement et un rêve où elle espère encore un peu trouver une raison d’être. C’est mercredi, le jour des bouquinistes sur la place principale de la ville, alors elle rejoint ce dehors pour dénicher un dedans supportable. Les mains dans les bacs à livres, le regard enfoui pour ne pas être interpellée, elle fouine. D’autres mains, près d’elle, s’activent de même. Les quatre mains farfouillent dans le bac à littérature. Des mains larges, pâles, emplies de taches brunes, encore fermes et pleines de cette énergie dont elle se sent parfois démunie. Elles s’emparent d’un ouvrage avec tendresse, le feuillettent, le tiennent sans trembler le temps d’une lecture de quelques phrases, puis tournent les pages et s’immobilisent un peu plus loin. La personne à côté d’elle doit être grande , elle sent une présence imposante la côtoyer, même si elle ne lève pas le regard vers elle. Elle a reconnu la collection de l’éditeur. Elle tente de déchiffrer le titre du livre qui requiert l’attention de son voisin, se dit que s’il le repose, elle s’en emparera; pour l’instant elle n’a rien trouvé à se mettre sous la dent; elle espère beaucoup du hasard qui libère . Elle entend ou croit entendre son voisin lire à haute voix quelques lignes, elle tend l’oreille; cela fait comme une psalmodie. Elle ne veut pas le regarder. Il lit un peu plus fort; peut-être pour elle. Elle ne sait pas ce qu’il dit, mais sait que ce livre, elle le veut. Il ne lit plus, il lui pose une question qu’il répète un peu plus fort et attend une réponse:  Vous connaissez cet auteur? Elle porte alors le regard sur la couverture, lit Edmond Jabès et murmure qu’elle ne l’a jamais lu. Alors, n’attendez plus ! lui répond-il d’une voix souriante et il glisse l’ouvrage entre ses mains. Le temps de déchiffrer le titre, l’homme s’est éloigné, elle ne voit de lui que son dos très droit sur de hautes jambes , dans une tenue d’été claire et vaporeuse; une chevelure blanche et soignée comme chapeau d’été. Sans autre réflexion, elle prend Le livre des questions, paye et repart le pas plus léger.

 Deuxième partie du  29ème texte (correspondant à la proposition d'écriture de la vidéo 29 ) pour  l'atelier d'écriture d'été animé par François Bon sur son site Tiers-Livre: " Construire une ville avec des mots".

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