Il
est des jours avec le regard élimé, où tout semble incertain, sans
couleurs, sans rien à à espérer, rien à contempler. Elle sort
malgré tout de chez elle, va dans la rue à la rencontre de ce
dehors. Écoutez voir , dit l’homme à la voisine
d’en face. Alors elle écoute les quelques mots échangés, elle
regarde les gestes qui renforcent le discours il est parti avec
sa payse et le bras droit donne la direction, vers le sud de la
ville; il a emmené le chien et du bras gauche il mime le
chien qui tire sur sa laisse, il tire aussi la langue pour signifier
la force du chien qui tire sans doute. C’était le soir et il
tanguait un peu, il avait pas bu que de l’eau; faut dire qui fait
chaud alors ça se comprend… Et d’un pas semblable il
s’approche de la voisine qui se replie un peu dans l’ombre. Il
est clair que lui non plus n’est pas à jeun; de la sueur perle
sur son front et sa chemise est décorée de belles auréoles qui ne
datent pas du jour. Un pagnot ,
aurait dit le père, pas méchant, mais qu’il ne faut pas
contrarier. Démunie d’elle-même, elle suit le soliloque du vieil
homme qui passe son temps à observer les uns et les autres – apincher aurait dit la grand-mère – , surveiller les allées
et venues dans sa rue. Elle avait une robe qu’on voyait tout
à travers, sa payse, elle a de beaux restes mais quand même ça se
fait pas... hein . Il cherche l’assentiment de la voisine qui
ne sait comment se dépêtrer de l’importun. Il est pieds-nus, la
chemise ouverte sur un torse poilu, une barbe de huit jours et des
cheveux mi-longs un peu filasses; rien qui donne envie de
l’approcher. Il continue: zavez pas entendu les cris le matin,
ça sonnait pas le grand amour et le soir bras dessus bras dessous
comme des, comment on dit déjà, des tourteaux… des
tourtereaux, murmure la voisine. Voilà, c’est ça , des
tourtereaux. La voisine cherche à rentrer chez elle avec son
sac de courses qui pèse au bout du bras; son téléphone portable
sonne et lui sauve la mise; elle répond et fait un signe à l’homme
pour lui signifier qu’elle doit partir tout en répondant. La femme
entre dans l’immeuble, l’homme balaye d’un regard lourd
alentour, l’aperçoit , elle , qui est figée au bord du trottoir. Écoutez voir…, il dit en s’approchant.
Première partie du 29ème texte (correspondant à la proposition d'écriture de la vidéo 29 ) pour l'atelier d'écriture d'été animé par François Bon sur son site Tiers-Livre: " Construire une ville avec des mots".
Première partie du 29ème texte (correspondant à la proposition d'écriture de la vidéo 29 ) pour l'atelier d'écriture d'été animé par François Bon sur son site Tiers-Livre: " Construire une ville avec des mots".
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