J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

lundi 4 mars 2019

Le veilleur du jour



Sur toute la contrée, depuis les rebords amers du plateau dont les flancs se craquelaient de combes où les torrents menaient sans relâche leur tapage jusqu'aux mornes pentes des Hautes-Brandes dont les sentes s'engonçaient sous des arceaux d'aubépines tassées comme des fous rires et, entre les deux, bien sûr, sous les denses nuées de la forêt qui étirait ses membres gourds au vent soudain tiédi, sur toute la contrée, en tout lieu et tout asile et même sur l'onde sans remords, cette odeur verte comme une femme. Et, quand le vent se suspendait, le goût sauvage du silence. Jour après jour, de chemin en chemin selon des pentes capricieuses qu'il ne choisissait jamais, il devait arracher douloureusement chacun de ses pas à ces enchantements, comme si, sans le savoir, il eût poussé devant lui une naissance sourde. Alors il souffrait peut-être, mais les charmes se dispersèrent dans les collines et, lorsqu'il eut atteint la grande plaine des vignes, halluciné dans l'incessant éventail de leurs rangs, il connut l'angoisse de ne plus rien sentir qui méritât d'être aimé et n'aspira plus qu'à mettre enfin le pied sur la route qui entrait dans Terrèbre.

Jacques Abeille "Le veilleur du jour" ( Editions Tripode 2015 et Folio 2018))

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