Sur toute la contrée, depuis les rebords amers du plateau dont les
flancs se craquelaient de combes où les torrents menaient sans relâche
leur tapage jusqu'aux mornes pentes des Hautes-Brandes dont les sentes
s'engonçaient sous des arceaux d'aubépines tassées comme des fous rires
et, entre les deux, bien sûr, sous les denses nuées de la forêt qui
étirait ses membres gourds au vent soudain tiédi, sur toute la contrée,
en tout lieu et tout asile et même sur l'onde sans remords, cette odeur
verte comme une femme. Et, quand le vent se suspendait, le goût sauvage
du silence. Jour après jour, de chemin en chemin selon des pentes
capricieuses qu'il ne choisissait jamais, il devait arracher
douloureusement chacun de ses pas à ces enchantements, comme si, sans le
savoir, il eût poussé devant lui une naissance sourde. Alors il
souffrait peut-être, mais les charmes se dispersèrent dans les collines
et, lorsqu'il eut atteint la grande plaine des vignes, halluciné dans
l'incessant éventail de leurs rangs, il connut l'angoisse de ne plus
rien sentir qui méritât d'être aimé et n'aspira plus qu'à mettre enfin
le pied sur la route qui entrait dans Terrèbre.
Jacques Abeille "Le veilleur du jour" ( Editions Tripode 2015 et Folio 2018))
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