J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

mardi 14 mai 2019

Sourdes contrées


En allant jeter un coup d'œil par la fenêtre nous nous sommes dit que le jardin avait une allure que nous ne lui connaissions pas. Si le soleil était maintenant levé, il ne marquait sa présence que par l'éblouissante lumière blanche qu'il prêtait à la brume, et cette brume éclatante elle ne se collait pas à notre fenêtre, elle tendait son rideau juste derrière la ligne des arbres tout au fond du jardin comme s'ils avaient formé pour elle une infranchissable barrière, ou plutôt comme si elle faisait pour eux un écran, me disais-tu, comme dans un théâtre d'ombres que l'on regarderait de l'intérieur, du côté du montreur, afin que les arbres encore sans feuilles puissent révéler le dessin précis de leur charpente, de leur branchage et de leurs rameaux. Et entre la fenêtre où nous collions le nez et la bande sombre du mur de clôture d'où sortaient les troncs des arbres comme s'ils étaient tirés d'une même pierre noire non pas sculptée mais affinée à mesure qu'elle se déployait sur l'écran de la brume, il y avait l'espace clos du jardin, son tapis d'herbe claire avec ici et là l'ombre longue et trouble de ces arbustes et de ces arbres, ce volume-là aussi exactement circonscrit et clos que celui d'une pièce où l'on se tient, avec ses meubles et ses fauteuils, et sa fenêtre fermée sur le voile opaque du dehors.

Jean-Paul Goux " Sombres contrées" (Champ Vallon 2018)

1 commentaire:

LE CHEMIN DES GRANDS JARDINS a dit…

Un vrai plaisir de lecture.
Merci
Belle soirée en amitié.
Roger