La
même lumière, mais plus chaude encore, plus riche, plus dorée.
Elle touche un homme au sommet de la colline et déjà l’ombre qui
dormait à ses pieds relève lentement la tête. Le monde n’est
plus rien qu’un socle d’herbe et d’ombre soutenant sous le ciel
la rigide frise de froment que le corps à demi-nu divise et tranche
pas à pas. L’homme a la tête dans le ciel et les pieds durement
pressés contre la terre craquelée. Il avance une jambe, une
indistincte créature à son flanc chancelle et se couche lourdement
sur le côté; il avance l’autre jambe, un autre pan de paille
s’effondre d’un seul coup. Le monde tout entier est fait de deux
couleurs superposées: une nappe fauve, une nappe bleue; l’homme
est fait des mêms couleurs, plus dense et plus douces: hors de
l’étoffe bleue, et les reins ceints de la ceinture de cuir où
s’accroche la rouge gaine du coffin de métal, le corps fauve
jaillit dans la plénitude de sa force, plus sombre à peine que les
épis. Il y a une tache de ciel aux épaules et quand tu tournes vers
moi ton visage, la poitrine traversée d’une
oblique lame étincelante, un bras puissamment ployé contre
lui-même, ton regard, frère, c’est encore le même azur. Une
femme se penche sur ce froment mort derrière toi, soulève à pleins
bras les cadavres dorés qu’elle repose, sans cesse courbée, sans
cesse redressée, avec le même mouvement sans fin de la tête où
toute une chevelure s’éparpille.
Gustave Roud "Écrit à Carrouge" (Fata Morgana)
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