Surgissent
brutalement les lignes de lumière, celles des rayons d’un soleil
d’été qui joue sa mélodie comme l’archet sur les cordes du
violoncelle, et dans une diagonale, qui n’a rien à envier à un
regard de folie, découpe ce qui est jardin entre le monde des
vivants et celui des disparus, les aidant presque à revenir. La baie
vitrée protégée par l’auvent, emplie des reflets où les verts
se mélangent à la grisaille des pierres , active son jeu de miroir
afin de perdre encore un peu plus le regard qui, lentement s’est
levé du livre où il avait jeté l’ancre. Entre les lignes de
mots, les yeux s’étaient inscrits, avaient presque pris racine, ne
se souciaient de rien d’autre que de la mélodie qui se jouait là,
des rêveries de personnages qui se croisaient, ne se reconnaissaient
pas puis se souriaient, des sons qui se glissaient avec sensualité,
des dissonances qui inévitablement retentissaient, puis la pénombre
emplissait les ruelles ou les allées d’un parc et, soudain une
colombe traverse l’espace du jardin d’un vol d’ailes lourdes,
se pose sur le tremble, reprend sa respiration avant de lancer
quelques roucoulades, c’est cela qui me fait lever les yeux de mon
livre, regarder le jardin comme si c’était la première fois, ne
sachant plus, perdue par le reflet, où est réellement ce jardin et
qui je suis dans cet espace clos, reconnaissant les pruniers
familiers, pas encore lourds de ces fruits qui font ployer ses
branches, et cette luminosité, qui n’a rien de la pénombre d’où
je surgis soudain sans précaution, et qui éblouit, bouscule le
songe où j’étais glissée, m’arrache à des existences qui,
même sans réalité, peuplaient l’instant présent avec bien plus
d’intensité que celles que j’entends soudain s’agiter sur le
chemin de l’au-delà du mur. Ne plus savoir, pendant quelques
secondes, après ce geste de paupières somme toute banal, si je suis
l’enfant dont le cœur bat toujours en moi, ou l’adulte et même
cette femme aux cheveux blancs qui n’en finit pas de vivre dans les
livres sans ressentir le poids des ans. La colombe a fini son
discours, déployé à nouveau ses ailes, survolé l’oubli où elle
nous abandonne moi et mes lignes de vies; les yeux continuent de la
suivre sur un fond de ciel bleu, avant de revenir , en un souffle
apaisé, au livre et à ses apparitions , illuminés d’un jeu
d’ombres.
(Nouvelle rubrique "Tresse de gestes" bâtie avec des extraits de mes lectures -- voir celui de Gustave Roud -- et des textes que j'écris autour de gestes, mouvements: un peu comme un arrêt sur image. Ce premier texte a donné une forme: bloc de 400 mots.)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire