Cadrer,
c’est trancher. Trancher, c’est choisir*. Hors
la ligne du temps, se
glisser dans
le champ des songes où les rêves en suspens dessinent une
cartographie dont
personne ne peut dire si
elle
est fille d’un
réel flou ou
sœur
d’un
irréel
distinct
et lumineux.
Alors tu rêves près des ondes et tu vois tressaillir le miroir des
eaux où les branches sont noires et les herbes fuyantes et
tu
les imagines
s’enfuir
vers
un
jadis que
tu n’es pas sûre
d’avoir vraiment connu.
Il est alors question de l’incertain que la langue ébréchée des
souvenirs voudrait bien réanimer, mais on le
sait, on
n’est que passeur de
quelques ombres.
La
voix devient sombre et
le regard se voile
devant cet invisible qui affleure sous
le visible. Il
ne reste qu’à épeler
le paysage intime de l’effacement, avec des mots trempés d’infini
et nimbés d’éclairs d’émerveillement. À l’encre de Chine
et d’une plume fine s’enfoncer
encore plus avant dans les entrailles du palpable, du murmure, des
ombres, tenter de sauver de ces effluves sombres quelque
étincelle, qui on le sait, vaut bien
une
flamme. Chemin
d’eau, d’herbes et de fleurs, vivant
dans
l’attente des inaperçus, qui
capture le regard, effeuille les pensées sans sève
et guide
d’une musique vague vers des rives d’harmonie. Choisir
l’amorce
buissonnière, surgie au détour du chemin, poser les yeux sur
l’inutile, laisser l’œil insister, sautiller de fleur en fleur
et de pierre en herbe, liant la langue du dedans et la langue de
l’air.
*
Georges
Didi-Huberman
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