J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

lundi 10 juin 2019

Hodie, un cadre

Cadrer, c’est trancher. Trancher, c’est choisir*. Hors la ligne du temps, se glisser dans le champ des songes où les rêves en suspens dessinent une cartographie dont personne ne peut dire si elle est fille d’un réel flou ou sœur d’un irréel distinct et lumineux. Alors tu rêves près des ondes et tu vois tressaillir le miroir des eaux où les branches sont noires et les herbes fuyantes et tu les imagines s’enfuir vers un jadis que tu n’es pas sûre d’avoir vraiment connu. Il est alors question de l’incertain que la langue ébréchée des souvenirs voudrait bien réanimer, mais on le sait, on n’est que passeur de quelques ombres. La voix devient sombre et le regard se voile devant cet invisible qui affleure sous le visible. Il ne reste qu’à épeler le paysage intime de l’effacement, avec des mots trempés d’infini et nimbés d’éclairs d’émerveillement. À l’encre de Chine et d’une plume fine s’enfoncer encore plus avant dans les entrailles du palpable, du murmure, des ombres, tenter de sauver de ces effluves sombres quelque étincelle, qui on le sait, vaut bien une flamme. Chemin d’eau, d’herbes et de fleurs, vivant dans l’attente des inaperçus, qui capture le regard, effeuille les pensées sans sève et guide d’une musique vague vers des rives d’harmonie. Choisir l’amorce buissonnière, surgie au détour du chemin, poser les yeux sur l’inutile, laisser l’œil insister, sautiller de fleur en fleur et de pierre en herbe, liant la langue du dedans et la langue de l’air.
* Georges Didi-Huberman

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