Mystère d’une simple image où tout est là et tout échappe. Les yeux errent à la recherche de ce point idéal où la vue, échappant au vertige multiplié du détail, deviendrait un instant total et parfait, mais, rapidement lassés, ils reviennent s’unir à l’immobile poussée du tronc, à ce jaillissement mesuré, maîtrisé qui, à la fois, porte et traverse le grand désordre blanc. Alors, un instant il se produit comme un renversement de perspective : il n’y a plus de fenêtre, plus d’arbre. Le regard devient nuit de racines, circulation de sève, écorce, élan multiplié, levée solaire, éblouissement, et le récit se perd longtemps, jusqu’à cet instant de tonnerre soudain où il resurgit, se déploie dans le vent et la pluie, traverse l’image, l’animant de ce temps qu’elle ignore mais qui toujours l’assiège, telle ces minuscules flocons d’ombre la blancheur qui n’est plus maintenant qu’une pâleur grisâtre sur le vert obscur des feuilles. Le regard reste pensif, comme bousculé par cette violence inattendue puis, reprenant son parcours quotidien, glisse du tronc presque noir au V de la fourche où s’entrevoient à peine la ligne du chemin et la façade blême aux vitres obscures, traverse le balancement des branches, le tournoiement des fleurs, l’errance des pétales pour s’attarder sur le toit de la ferme, en bas à gauche, d’un gris un peu plus clair que celui du ciel bas. Rien n’y bouge. Le récit ne pourra pas y prendre, malgré les signes de l’homme : hangars, réservoir à eau, carrosseries aux couleurs diverses en partie cachées par la végétation. Seul l’arbre retient en lui la vie. Mais de manière si impalpable (et pourtant si évidente) que le regard, pour l’approcher, doit multiplier cette auscultation minutieuse, presque maniaque, qu’il ne cesse de pratiquer (tronc, branches maîtresses, fouillis toujours plus dense des fleurs et des feuilles) sans parvenir à rien d’autre qu’à cette dispersion de fragments qu’épelle en quelque sorte (de haut en bas, de droite à gauche) la lenteur de sa circulation appliquée. Et cependant, s’il ne s’obstine pas à le détailler, s’il s’abandonne à son désir, toujours réprimé, de voir à perte de vue, d’accommoder sur l’infini ou, du moins, sur le fond – en l’occurrence, le gris embué des nuages qui couvrent la montagne –, alors, au premier plan, l’arbre est là tout entier en sa présence inépuisable mais contenue dans l’espace ouvert et pourtant limité qu’il déploie
Jacques Ancet " image et récit de l'arbre et des saisons" ( Editions publie.net 2018)
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