J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

jeudi 18 juillet 2019

Tractatus Solitarius. Le retour du Loup des steppes



14. Chaque homme voit le jour quelque part, peu importe où, sur une île, dans un village ou une ville, mais sa véritable naissance, s’il ne meurt avant, a lieu plus tard dans sa vie. Elle a lieu en lui, autrement dit : nulle part. Nous y sommes. Où ça ? Nulle part. Précisons-le : ni en un autre monde ni en une psychose, nulle part, ici, à l’intérieur de nous-mêmes mais aux antipodes de notre moi, ici, à ses confins où l’homme que nous prétendons être ne joue aucune part en celui que nous sommes originairement.

15. C’est là, dans ce fond le plus inaccessible de l’être, à ce degré zéro d’une internité où les pensées, mais non l’esprit, meurent d’asphyxie, que nous demeurons insaisissables à autrui comme à nous-mêmes. C’est là, observait Ernst Jünger, qu’on sent à quel point on est peu chez soi en soi-même.

16. Voilà sans doute pourquoi la majorité des hommes préfère vivre à peu près n’importe où sauf nulle part, pourquoi la plupart recherchent la compagnie d’autrui, voire se contentent de leur propre fiction, pourquoi, enfin, ils vivent, adossés à ce vacuum immense en eux plutôt que de le confronter dans un corps-à-corps dont ils devinent, à juste titre, qu’ils auront le dessous.

Pierre Cendors: "Tractatus Solitarius. Le retour du Loup des steppes" ( L'Atelier contemporain 2019)

Aucun commentaire: