J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

lundi 24 mai 2021

Lent séisme

 


Il a raviné, le temps, tout sur son passage. Il a raviné les pluies de l’enfance. Raviné les étés dans la paille. Les champs de maïs. Le temps qui ne passait pas. Il a raviné, le temps, sur son passage. Les folies, les désespoirs aussi, les nuits blanches et les retours en taxi. Il a raviné même l’après, le temps durci des premières années de travail, tout ce qui est parti, l’innocence cruelle d’une ville après l’autre, les joies et les rames de métro, Jorge Semprun et même Mano Solo. Sous la même coulée de boue, sous des soleils qui passent. Il a raviné, le temps, tout sur son passage. Nos sueurs envolées au vent du Nord, les aubes sans sommeil et les enfants qui pleurent. Il a raviné, le temps, même les jeunes parents, les varicelles et les matins d’école. Il a raviné, le temps. Tout, sur son passage. Ce temps que l’on croyait figé, les heures arrêtées. Les années pleines comme un œuf. Il a raviné l’autre temps, celui d’avant, et celui d’après. Même le maintenant, raviné d’avance. Il n’a pas quatorze jambes, le temps, pour raviner. Il en a mille, pour courir après le temps, le rattraper, le prendre à la gorge, lui faire dire, au temps, tout ce qu’il a caché, pendant si longtemps.

Les chansons du temps refermé laissent ouvertes toutes les mémoires. Il a raviné, le temps, tout sur son passage. La Ville ses gens sont là toujours. Le temps a tout emporté, rien n’est vraiment parti.

Des décombres monte une haleine de cuir.

 

Juliette Cortese "Lent séisme" (éditions Publie.net 2021)

 

1 commentaire:

Linette a dit…

Oui, "Il a raviné le temps"... mais à travers ces mots, c'est moins dur;(enfin presque!) c'est si beau!