J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

samedi 18 juin 2022

Primevère

 


Dans la solitude de ma chambre, je souris comme à moi-même, comme à toutes mes douleurs et mes joies qui seraient là présentes. Je regarde le moindre objet : une vitre où se dessine la rue banale comme un pan coupé qui contient l’expression de toute ma vie, et de toute mon ardeur. Je prends dans ma main ma statuette de Tanagra. Je m’abîme dans cette figure comme si elle portait mon âme ou pour me décharger sur elle du poids de mon cœur.

Ainsi vont mes yeux de place en place, interrogeant, scrutant une ombre d’esprit dans la matière même ; parce que la matière est silence et que le silence se conforme à toutes les agitations comme à toutes les impassibilités. Le silence est la seule expression qui me réponde, où je me retrouve, puisqu’il se moule fraternellement à tous les signes de la vie, devient regard au regard, main à la main, cri au cri. Le silence me montre à moi-même ; et comme s’apaise l’enfant en pleurs qu’on conduit devant une glace, il suspend mon ennui.

 

Cécile Sauvage « Primevère » dans Oeuvres complètes

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