J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

lundi 8 avril 2024

Ricochets/ 14

 


1/ En rasant les recoins au fond de soi, en cherchant à se retrouver dans son propre labyrinthe, on finit toujours par dénicher un truc qui ne tourne pas rond. Une aspérité, une croûte que l'on gratte, tant et plus, jusqu'à refaire saigner, et la démangeaison s'accentue aux entours, cela se répand comme une onde sur la rivière. Tout est réactivé: le sourd se met à geindre en dizaines de murmures.


2/ Se dissoudre dans les rayonnages de la bibliothèque d'une personne qui n'est plus, depuis déjà de nombreuses années. De la joie à caresser les couvertures de tel ou tel livre dont on sait qu'elle les a lus avec attention et passion, dont elle nous a parlé, qui peut-être même sont annotés. S'interroger sur quel message en sommeil entre les pages, à soi envoyé. Alors en emprunter deux pour le découvrir.


3/ En parallèle de ce qu'on lit, de ce que l'on voit dans un film ou même de ce qu'on entend dans une conversation, s'immisce notre perception. On lit avec un regard qui a, depuis tant d'années écoulées, déjà beaucoup parcouru de pages, beaucoup imaginé d'arrière-pays derrière les lignes qui se posent. Et souvent la lecture est alors déportée vers d'autres horizons, où se mêlent nos propres souvenirs: un autre livre.


4/ En marge. Chaque jour se répéter que l'on n'est pas vraiment dans les clous que la vie nous demande de respecter. Se sentir toujours quelque part ailleurs, dans un monde parallèle, où règnent les ombres. Sous quelle sorte de ciel exister? Happée par quelque murmure qui s'élève de puits creusés au bord de nos chemins, séduite par les bruits d'ailleurs que l'on croit percevoir, et les doigts aimantés aux gouffres.


5/ Le sourire sur le visage de l'enfant, comme la récompense de le rendre heureux, lui donner de la joie, aussitôt partagée. Et du jasmin dans les mots que l'on prononce, d'où émergent des monceaux de miel. Voir au travers des années et suspendre les mondes qui se déroberont plus tard sous ses pas. La laisser le plus long possible vivre dans ces intervalles où le bruissement des mots la caresse.


6/ ...les arêtes du réel...des îles intérieures...des strates de mémoire...racines courant sous la peau ...absence, présence, absence ...des ciels alentour...des yeux tendus vers ...la brûlure du soleil ... lapsus de mémoire... syllabes désarticulées ... images regardées ... comment penser le temps ... retour sur le passé ...désir d'une vérité ...ce qui est perdu dans le perdu...du flou dans le regard....ne plus savoir comment rentrer...dissonance d'un au-dehors...avancer sur la ligne de fracture...


7/ Le glissement des mains sur les couvertures de livres étalés sur les tables du salon des éditeurs. Certains passent, feuillettent, lisent quelques lignes, reposent l'ouvrage, s'emparent d'un autre, recommencent, se dirigent vers la table suivante où se reproduit le même processus. Ils tournent une ou deux fois dans les allées, semblent gênés de ne rien acheter, mais ils ont un peu peur de ce qui se trame entre les lignes.


1 commentaire:

Ange-gabrielle a dit…

Oui la conversation et la transmission continuent bien après la mort : les livres de ma cousine pris dans ses rayonnages regorgent de pages annotées et plus précieux que tout, ces petits feuillets de papier glissés ici et là, de son écriture, où elle notait ses réflexions.
... et toutes ces images en moi imprimées par des films, tableaux, lectures et dont je sais depuis toujours qu'elles font partie de moi comme mes propres souvenirs vécus et inextricablement liés.
Je me découvre une soeur de coeur et qui écrit si bien..