J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

mercredi 2 octobre 2024

Ricochets/ 39

 


1/ Lire un livre. Se reconnaître dans les lignes que l'on traverse, y découvrir une manière de se dire que, seule, on n'aurait peut-être pas eue. C'est une manière de se comprendre soi avec un peu de mise à l'écart, un pas de côté, un regard de biais. Entre un soi et l'autre soi, des mots comme des rides légères sur le visage qui sinuent dans la tendresse de la chair.

2/ Il y a toujours une petite échappée, un opercule insignifiant, hors de la toile où l'on est enserré, où pouvoir porter le regard. Au fil du temps, les possibles se raréfient, les paysages se réduisent, les désirs s'effilent. Mais cette échancrure de vie, cette boutonnière de rêves, cette fissure où se glisse l'œil toujours en recherche, en apnée d'un possible, il faut en prendre soin comme d'une pièce en dentelle.

3/ Une touffe de lichen fruticuleux posée tout près. Ne pas se lasser de la regarder. Comme si à forcer le regard entre ses thalles, quelque chose allait se laisser lire, comme si une écriture s'y était cachée et attendait que quelqu'un la déchiffre. Sans plus savoir où j'ai cueilli ce morceau qui ressemble à un arbre en miniature, un arbre d'argent qui me regarde avec la patience éternelle du lichen.

4/ Changer l'heure d'écriture de ce fragment modifie ce qui s'écrit. Dans la fatigue du jour qui s'achève se glisse une lourdeur dans les mots qui s'apparente au poids que je ressens sur mes épaules et à la douleur qui l'accompagne. Le soir s'annonce avec ses éraillements et ses pensées qui manquent un peu de légèreté. Ne pas prendre de décisions abruptes dans ces moments-là. On y verra plus clair demain.

5/ Jardin abandonné sous la grisaille. Vert et gris seront les couleurs du jour. Dehors,dedans. Cela s'insinue comme un scolopendre dans les arcanes du cerveau, cela éraille les pensées, cela obscurcit les ciels de mots. Temps de bruine prévu, il faudrait se vêtir d'une robe de velours rouge, de bottines d'un autre temps et jeter des papiers de soie colorés tout autour, comme on jette du sel sur la neige.

6/ Est-ce qu'il y a une vérité dans une phrase qui s'écrit sans que l'on sache trop comment elle vient de se former? Quelque chose qui chercherait une issue de secours dans la pensée tremblante qui circule dans l'esprit. De quel recoin surgissent les mots qui tentent de s'échapper d'un corps pour en coloniser un autre? Souhaite-t-on vraiment transmettre ce qui ressemble davantage à une émotion secrète qu'à une véritable pensée?

7/ Visionner de courtes vidéos qui s'étirent dans la trame du presque rien. Faire comme si je les avais réalisées. Illusion que cette forme de cocon que l'on tente d'écrire. Le monceau de livres, tout autour de moi, est similaire. Se tenir à l'ombre des mots, comme à l'ombre d'un arbre, dans l'essaim de pensées qui assaillent et tentent de murmurer que la vie est encore en cours dans les veines.

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