Lorsque je fouille dans ce qu'il me reste de la salle de classe, tu étais dans le rang derrière le mien, tu ne parlais toujours pas, jamais, je crois bien que tu es le premier taiseux que j'ai croisé. Moi, qui suis bavard tellement que je m'en saoule, finis par ne plus ouvrir la bouche pendant des jours, cela me laissait ébahi de te voir aussi silencieux qu'une souche d'arbre. Un rocher de tranquillité derrière son pupitre.
Tellement qu’il m’arrivait, les premiers mois dans cette école primaire, de me tourner pour voir si tu étais toujours auréolé de ton mystère. Quand tu l’étais, monolithique, le regard droit sur la fenêtre si haute que je me demandais qui les lavait, un jour ce serait ma mère, j’étais rassuré sans bien saisir pourquoi. […]
Tu ne le sauras pas, mais retrouver quelque chose dans ce fatras flou qui ne cesse d’augmenter à mesure qu’on avance est une tâche impossible. Je tente ma chance malgré cette difficulté, puisque c’est seulement à ça que servent les mots, ceux qui les écrivent, parler des morts, les faire vivre, et tous les morts, particulièrement ceux dont personne ne parle plus, afin qu’au moins quelqu’un crée la trace qu’ils n’ont pas même pas tentée.
Dans cette perspective, je fais ce que je peux . Je gratte cette terre noire, j’exhume, des petits tas de sable que l’eau des ruisseaux grosse des pluies mangera sans doute aucun. J’essaie, tu vois, j’essaie, tu en valais la peine.
Daniel Bourrion "Le pays dont tu as marché la terre" ( Éditions Héloïse d'Ormesson, 2025)

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