J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)
jeudi 18 septembre 2025
mardi 16 septembre 2025
Ricochets/ Année 2/ Semaine 37
1/ Écrire c’est parler un langage en train de se dire, sans savoir sur quelle sente il va nous conduire. On voudrait pouvoir condenser ce qui s’écrit. Être dans une phrase de la brièveté. Pour la force ainsi insufflée. Un jet de mots amassés, des mots pierres. Une onde de choc. Qui cherche à se répéter, se dupliquer, se dédoubler. Pour atteindre plus large, plus loin. Atteindre un but, quelqu’un peut-être.
2/ Rendre ou donner leur poids aux mots que l’on lit. C’est manière de les honorer et de se tenir à l’écoute de ce qu’ils peuvent vouloir nous dire. C’est particulièrement vrai si l’on cherche à traduire d’une langue à l’autre. On se tient dans l’entre-deux ; on cherche à maintenir l’équilibre entre les sens, à faire résonner la tension entre les deux langues. On se revêt de l’habit du peut-être.
3/ Sensation de passer à côté de tout se qui se trame ici ou là dans le monde. Ne plus avoir la compassion nécessaire ou les forces pour. Se détacher en quelque sorte, et ressentir cet éloignement comme si j’étais mise sur la touche du jeu qui se déroule. Comme si je m’éloignais sur la pointe des pieds, me retirais du mouvement collectif où je ne suis plus à ma place.
4/ Au passage des corps, des hérons se déploient. Leurs ailes se déplient, la tête vers le ciel. Une certaine lourdeur dans la lenteur du vol. Un deux puis trois hérons gris ou blancs disparaissent. Au milieu des feuillages ils trouvent un refuge. Ils patientent. J’ai dérangé leur vie, froissé leur silence et leur méditation de par mon passage. Je conserve ce qu’ils m’ont donné, cet instant où l’on peut s’envoler.
5/ S’immerger entre les pages d’un livre pour l’imprévu qui peut-être y restera caché si l’on n’est pas attentif. Pour y dénicher l’insolite ou l’inouï qui nous est offert. Pour les promesses d’oubli d’un réel dont on ne peut plus supporter les griffes. Pour ce pas de côté salutaire sur un sentier où l’on ne savait pas que l’on aimerait marcher. Pour respirer plus grand plus fort plus loin plus haut.
6/ Être ailleurs. En permanence. Dans le passé, dans le futur et rarement dans le présent, excepté avec mes peties-filles sans doute. Je réapprends le présent et une présence vive avec elles. Leur quête de savoir, de voir, d’avoir est immense. Leur intensité de vie me secoue et je tente d’être à la hauteur de ce qu’elles sont en train de devenir, de faire partie de leur horizon avant de m’effacer.
7/ Dans les marges de ce qui se dit, se lit, s’écrit, des bribes de beaucoup de voix, autres, qui s’infiltrent se glissent dans mes propres mots. Mais on est toujours entre le dire et le taire. Ce qui se voit et ce qui s’entend travaillent le corps de la langue qui s’écrit sans le décider. On est toujours au seuil de... lorsque l’on cherche à écrire. Sans savoir de quoi.
dimanche 14 septembre 2025
Quatrain/ 177
quelqu’un ce matin dira
rien n’est prêt même l’aube
sur le fil ténu du ciel
comme une autre langue
vendredi 12 septembre 2025
La mémoire délavée
Quand revient le temps des étourneaux qui se déploient dans le ciel pour dessiner des figures liquides et mouvantes, je vois gonfler et se former une dame-jeanne.
Puis un chapeau épais qui lentement se mue en voile qui bat au vent, s’éloigne et disparaît. J’essaie de décrypter le ballet des étourneaux comme je décrypterais un rébus, en espérant que chaque tableau soit un mot, et, mis bout à bout, ces mots forment une phrase et soudain, cette phrase serait ma première, mon évidence.
Quand revient cette année le temps de ces oiseaux qui empruntent, comme les hommes, des couloirs de migration, suivant on ne sait quel vent favorable, pour trouver plus de nourriture et plus de chaleur, je me demande comment ils les trouvent, ces chemins-là, ces oiseaux-là. Est-ce que subsiste la mémoire d’un passage à travers le ciel qui se transmettrait de bec en bec, d’année en année ?
C’est à la tombée du jour qu’ils apparaissent. C’est à la tombée du jour que nous sommes les plus vulnérables. Il y a ces minutes étranges, gris-bleu, glissantes, quand le soleil s’en va et quelque chose venu du fond des âges remonte et se rappelle à nous. Une peur, une intranquillité, une fragilité. Nous pressons le pas, nos cœurs sont plus lourds et nos enfants pleurent sans raison. À la tombée du jour, j’arrête d’écrire et je me rends compte combien cette chose entreprise il y a quelques mois m’échappe. Cette chose, je dis. Cette chose, comme si elle existait quelque part, cette chose tel un objet. Cette chose m’échappe, je dis. Elle n’est ni ici ni là. Cette chose, c’est un récit sur mes grands-parents et je ne l’ai encore pas trouvée aujourd’hui, à l’heure où s’agitent les étourneaux.
Natacha Appanah "La mémoire délavée" ( Mercure de France 2023)
mercredi 10 septembre 2025
lundi 8 septembre 2025
Ricochets/ Année 2/ Semaine 36
1/ Un faisceau de lumière insolite, pourrait-on écrire, qui s’échappe des pages d’un livre, qui tente de nous surprendre, de nous éveiller de la forme d’assoupissement qui commençait à nous envahir, malgré, nous semblait-il, une attention de la lecture soutenue. Là dans ce rayonnement de mots une haute tension soudaine, une densité d’être en expansion, simplement revivifiée par quelques mots mis bout à bout, comme un fil à ne pas lâcher.
2/ Le réel du matin, quand on ouvre les yeux sur ce qui nous entoure, quand on se remémore le rêve de la nuit qui pourrait peut-être nous faire progresser en nous-même, ce réel avec les rayons de soleil qui entrent dans la maison, un peu plus tard chaque jour, ce réel avec lequel il va falloir composer – douleurs, fatigue, soucis mais aussi projets, rencontres, balades – : chaque matin à embrasser.
3/ Réorganiser la pièce où je lis, j’écris, je vis ( je travaille?) est nécessaire, souvent à chaque rentrée scolaire, comme le souvenir de ma vie d’avant. Et jeter. Il y a un temps pour jeter. Il y a un temps pour tout. Et il y a tant de choses, de papiers inutiles dont je pourrais me séparer. Jeter pour faire de la place en soi. Je progresse à petits pas.
4/ La stabilité et l’instabilité de l’instant ensemble ressentis. À vivre debout. Pieds nus sur un terrain glissant. Lumière à l’avant de soi et ombres qui jaillissent. Tout se vit dans une forme de respect. L’équilibre et le déséquilibre comme moteurs d’avancée, dans une coexistence pacifique. L’instant ajouté à un autre instant et encore un autre dans une conscience claire et sereine de ce qui a lieu est un pourvoyeur d’horizons.
5/ Avant de décider d’aller quelque part, on se lève et on choisit simplement d’aller. Peu importe la destination. Quel que soit le sentier où se pose le pas, c’est la marche qui importe. Mettre en mouvement le corps en une quête de métamorphose. Attendre sans rien susciter. L’esprit se tient en embuscade. Prêt à traduire ce qui monte du pas au contact de la terre, dans cette intimité des sens.
6/ Vivre à l’ombre de tout ce qui a déjà été gravé sur les pages des livres. De cette ombre naît la lumière nécessaire. On feuillette un recueil, quelques lignes se lisent dont on ne savait pas la couleur, la richesse, l’espoir qu’elles pouvaient apporter, la sérénité aussi. Le regard qui se déplace alors est riche de ce qu’il vient de lire et se dépose avec douceur sur les entours.
7/ Le halo de silence où je me tiens le plus souvent possible, rayé par le chant des oiseaux certains matins, dont je réalise que ces jours-ci je ne les entends plus, ce lieu donc, où je suis recluse, dans la pénombre des étagères de livres qui veillent derrière moi, m’est indispensable. L’impression d’exister uniquement dans ce lieu. J’ai cette chance inouïe de pouvoir y être, au sens fort du terme.
samedi 6 septembre 2025
Choses incertaines à laisser décanter
( l’uniforme gris du ciel pèse un peu)
face à ce ciel de tension --- se réfugier dans ce qui fait être — ce qui ouvre le regard — ces mots blancs comme les cailloux ramassés en bord de mer* — comme ces grappes de lichens sur les troncs d’arbres — où circule entre les thalles — un air de rien — un canevas nébuleux — qui cherche à se dire — avec le déhanchement des doigts sur le clavier — dans une évidence — ou une forme de désarroi — les yeux vides ou blancs — ne savent plus très bien — ils sont au bord — au seuil de l’image à venir —
*Virginia Woolf
jeudi 4 septembre 2025
Propos d'altitude
Plus que maintes idées reçues, plus que maintes idées apprises, plus que les convictions officiellement déclarées, plus que les conditions nécessairement embrassées, les paysages – quelques paysages – sont les véritables idées directrices de notre vie : les horizons aimés ont l’attrait d’un aimant. Et ce n’est point sans quelque émotion ni sans quelque sentiment de douceur insigne que nous découvrons sur le tard, pour le serrer en nous-mêmes, l’album de ces quelques arrondissements terrestres qui alimentent sans mot dire toute notre métaphysique. Ce sont quelques lointains qui font tout notre intime.
François Cassingena-Trevedy "Propos d'altitude"
mardi 2 septembre 2025
Ricochets/ Année 2/ Semaine 35
1/ La question de poursuivre cette écriture là, celle des ricochets, se pose de temps à autre. Habitude ou certitude, qu’en est-il ? Travail de la langue ou un simple épanchement ? On rêverait d’étincelles plus intenses capables de faire partir un feu. Poursuivre malgré tout ce protocole d’écriture : soixante-dix mots chaque matin en écho à quelques lignes lues ou entendues, quelques mots de l’entre-deux qui cherchent à se dire.
2/ Vouloir rattraper le parcours des rêves, en conserver quelques images, mettre des mots dessus et tenter d’en déchiffrer l’arrière-pays. Écrire ce qui émerge de ces songes au réveil. Il semble que plus on y prête attention, plus les souvenirs du matin s’enrichissent. C’est une sorte de travail à faire. Peut-être qu’à force de les noter on pénétrera plus loin dans cette zone de soi, et que ce sera une évidence.
3/ Se situer face à l’excès lorsque l’on décide de poser des mots sur ce qui advient, d’écrire ce qui semblerai avoir été. Distendre le minuscule, le trois fois rien, l’instant que nul ne voit et l’exhausser vers une marche plus haute, qui menacerait l’équilibre, et nous ferait être dans le suspens d’une pensée. Des images alors, des métaphores pour dire ce surplus de vie ainsi donné, l’élan face au jour.
4/ Ne pas abandonner l’écriture de cette forme de bréviaire. Prendre le temps de ce bref passage chaque matin à poser ces échos de vie. Manière de muscler mon esprit comme je donne à mon corps, par le biais de la marche, la manne dont il a besoin pour continuer à être. Participer ainsi à ne pas déserter son centre de gravité et à le stabiliser. Le terme bréviaire soudain importe.
5/ L’agir dans l’écriture commence souvent par la marche. Cela marche aussi en tête . L’agir de l’écriture est aussi et d’abord dans la lecture. Prendre le temps d’une lecture lente. Certains textes, de par leur puissance, l’ange qui se situe dans l’arrière des mots, émettent un sol favorable à implanter une écriture que l’on ne savait pas vouloir abandonner ce jour. Le don des mots, de phrases, une poétique d’être
6/ Retenir un bout de réel. Le tenir sous ses yeux et le conserver en soi. Le laisser diffuser au travers de son être le temps nécessaire. Corps à corps du réel et de la pensée reliés par la poésie. Prendre vie des souffles mêlés. Comme lorsque retentissent encore dans quelques villages les cloches de l’Angélus. Glaner ces étincelles d’étrange qui nous sollicitent aux angles de nos vies un peu ternes.
7/ il s’agit de tirer le fil écrit Christine Jeanney dans un de ses block-notes. Il est très rare que j’ai une aiguille entre les doigts et de la couture à réaliser, ce n’est pas ma manière de me réaliser. Mais tirer le fil des mots, les extraire d’une lecture qui a percuté mon esprit, puis faire un nœud avec mes propres mots qui naissent et poursuivre le fil de l’engendrement.
samedi 30 août 2025
Divagations/ 32
de mon étrange relation avec Virginia
J’ai enfin visualisé un DVD emprunté à la médiathèque, au début de l’été qui s’intitule simplement Virginia Woolf 1881-1942. C’est une vidéo de 45 minutes réalisée par Dominique Brard, datant de 1999. Il fait partie de la série Un siècle d’écrivains. Je n’ai pas appris grand-chose de nouveau, mais il y a des photos, ou de courts morceaux filmés,lors de l’enterrement de la reine Victoria notamment, qui donnent à penser l’époque et ses contraintes. J’ai pris quelques notes de phrases entendues, issues de textes de Virginia ou des propos de la réalisatrice qui m’ont accrochée. C’est une manière de « lire » et conserver des bribes d’une vidéo :
– Mrs Dalloway dans le flux et le reflux des rues
– Septimus, dans Mrs Dalloway, se suicide ( c’est l’unique »fou » chez Virginia : il voyait les gens inventer des mensonges. Le nom de Septimus en lien avec la position de Virginia dans sa fratrie ( septième) ?
– le père de Virginia pratique « l’art du possible » ; c’est un esprit insatisfait et tyrannique
– voir sans être vu
– un corps comme suspendu
– La maison de Hindead House où va la famille après la mort de la mère ( vacances?)
– « les yeux voilés, les ailes figées »
– la réalisatrice parle de violation spirituelle
– le premier roman de Virginia La traversée des apparences est un roman sur le silence, sur ce que les gens ne disent pas
– le non récit ou un poème aveugle ( période de folie)
– toute chose figée est remise dans le mouvement de la métamorphose
– Les Vagues : un livre presque abstrait ; enfance immortelle, puissante, fragile ; vouloir se libérer des chaînes de la personnalité
– le livre est le lieu possible de l’échange ; l’emploi du je a disparu
Notes brouillonnes, certes, mais manière de garder traces de ce que j’ai vu. Il y a aussi des entretiens avec Angelica Garnett, la fille de Vanessa, sœur de Virginia, qui évoque sa tante. De nombreuses photos aussi que je ne connaissais pas.
Ne pas interrompre le lien tissé avec cette écrivaine. Manière de vivre.
à suivre
jeudi 28 août 2025
Choses qui s'éclairent
( se frayer un regard dans un dehors bien brouillé)
pensées qui ne se posent sur rien — mais ne se reposent pas pour autant — cela tourbillonne et fuse — on voudrait presque n’avoir rien en tête — juste arriver à canaliser ce flot — à ordonner ce qui surgit — à insérer un peu de silence entre — à en accueillir une seule — et la chérir — faire en sorte de l’habiter — ou de se laisser habiter par elle — soudain dehors la brume se dénoue — la lumière trace un sillon entre les arbres — mettre ses pas dedans — se saisir des instants les uns après les autres —
(recyclage d'un texte posté sur mon blog Aux marges du jardin appartenant à la rubrique Carnet)
mardi 26 août 2025
Journal d'un écrivain/ 18
Lundi 27 octobre 1930
Comme ma chambre est inconfortable et peu commode : une table où s’entassent les papiers, etc. Me voilà de nouveau attelée aux Vagues, et j’ai environ une heure et demie devant moi : un peu de temps pour Dante ; un peu de temps pour des manuscrits, et un peu de temps ici, avec une autre plume.
Virginia Woolf "Journal intégral 1915-1941" ( traduit par Colette-Marie Huet et Marie-Ange Dutartre)
Cette notification n'a pas été retenue dans le Journal d'un écrivain
dimanche 24 août 2025
Survie
vendredi 22 août 2025
Quatrain/ 176
gris réservé de l’aube
où se glissent des yeux de sable
entre les bouts effondrés de ciel
la poésie a fait le mur
lundi 18 août 2025
Les Roches Noires
Passage à Trouville pour voir l'Hôtel des Roches Noires où a séjourné Marguerite
Duras durant de nombreuses années. La photo qui suit est de Hélène Bamberger
extraite de l'élégant coffret de photos publié aux éditions de Minuit en 2004.
Je ne peux pas.
Personne ne peut.
Il faut le dire : on ne peut pas.
Et on écrit.
C'est l'inconnu qu'on porte en soi: écrire, c'est çà qui est atteint. C'est çà ou rien.
Ce n'est pas simple ce que j'essaie de dire là, mais je crois qu'on peut s'y retrouver, camarades de tous les pays.
Il y a une folie d'écrire qui est en soi-même, une folie d'écriture furieuse mais ce n'est pas pour cela qu'on est dans la folie. Au contraire.
L'écriture c'est l'inconnu. Avant d'écrire on ne sait rien de ce qu'on va écrire. Et en toute lucidité.