1/ À s'ouvrir avec limpidité, l'aube me cueille, faisant s'envoler les idées nocturnes, les écartant de l'esprit toujours avide de rumination. Mais où se réfugient ces idées que l'on chasse ou qui s'éloignent sans crier gare? On imaginerait bien une hirondelle voletant d'ici, de là, étalant ses ailes et accueillant tout ces bouts de pensées qui n'ont pas terminé leur chemin et qui resteraient au chaud sur le dos de l'oiseau.
2/ Encore enlisée dans cette lenteur, celle juste après le réveil. Des gestes ralentis, des pensées floues. Dans le jardin, déjà emportés par le rythme du temps, des oiseaux s'invectivent, chantent, volètent, vivent. Du dehors vient la vie. Comme on accroche des wagons entre eux, comme on se donne la main dans une farandole, je me relie à cette sève animale, espérant je ne sais quel courant susceptible de lumière intérieure.
3/ C'est ainsi, les souvenirs reviennent. Un rocher au bord du chemin. Les arbres qui s'agitent un peu plus loin. Les jambes de l'enfant qui court au-devant. Dans le pré des mousserons à dénicher. Et les colchiques qui chantent la fin de l'été et le retour à l'école. Aller jusqu'au bout du chemin, celui-ci qui s'égare dans les bois. Bien caché, les lointains se dévoilent. Se recroqueviller là encore un peu.
4/ Revenant vers soi, des images comme les mots d'un poème. Lu, appris, récité, encore en mémoire. En une fraction d'instant, l'enclave d'une vision. L'arrêt en soi de cette image que l'on garderait bien au long de la journée, épinglée sur la rétine. L'impact rouge et bleu. L'espace nappé, parsemé, éclaboussé de cette lumière printanière qui tarde à éclore, à nous laisser espérer encore. Un champ de coquelicots et de bleuets mêlés.
5/ Le printemps prend son temps. Un pas en avant et un en arrière. Un peu comme la pensée. Elle s'égare en chemin. Emprunte une voie étroite, ne sait plus ce qu'elle fait là, retrouve la grand route, et oublie l'itinéraire qu'elle a pris. Du printemps, il naît des couleurs, les blancs et roses sur les arbres, des jaunes, des violets, des rouges. Et de l'esprit si peu de réelle nouveauté.
6/ À travers soi cela travaille. Le monde se réfléchit. Les uns et les autres donnent à penser, à méditer, à écrire. Cela se brouillonne, fait saillir des angles de vue dont on ne connaissait pas l'ampleur. On se met à éplucher la peau des jours qui passent, à les décortiquer, et cela se rassemble dans les replis de soi, se superpose et s'entremêle. Où se tenir, quel présent habiter ?
7/ L'étrange chose que c'est d'écrire. De ne pas pouvoir s'empêcher de le faire. C'est comme partir marcher, et vouloir toucher l'écorce des arbres rencontrés. Pas tous, bien sûr, mais certains qui réclament. Ou ramasser des pierres sur le chemin, une de plus et encore une autre que l'on déposera au retour sur une étagère. Ou regarder les mésanges voleter entre les arbres du jardin et voir soudain se poser un rouge-gorge.