J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

jeudi 2 octobre 2025

Choses qu'on voudrait autres

 


( comme un nouveau ciel bleu qui s’installerait)

à nouveau cela brasse encore en tête — des saccades d’angoisse surgissent — se sentir comme une pierre — des instants où les mots se brisent — les lèvres que l’on serre un peu trop fort — ou que l’on mordille sans s’en apercevoir — des gestes de doigts saccadés — se tourner vers le ciel — à la recherche d’un nuage de calme — une respiration plus lente — une sérénité soudaine et stable — une parole qui traverse irriguée de mots doux — des éclosions d’images d’un bleu doux — des murmures sucrés — de longues lampées d’air — un rythme de souffle sans remous —

mardi 30 septembre 2025

Ricochets/ Année 2/ Semaine 39

 


1/ Toutes ces paroles qui fusent, s’échangent, déstabilisent, remuent comme autant de courants d’air, puis s’échappent, se perdent, meurent aussitôt mises au monde, oubliées de presque tous. Choisir ses mots, les élever au rang de pépites, les rendre rares, n’en délivrer que le nécessaire pour un quotidien serein. Et laisser des ruisseaux de silence abreuver l’entre-deux des échanges. En quoi le silence fait-il si peur qu’il est rompu en permanence ?

2/ Dans l’épais brouillard de la vie ordinaire, tenter de se diriger, d’éviter les écueils sur le chemin, d’avancer pas à pas entre les ombres. S’accrocher quelques instants aux ailes d’un oiseau venu se reposer sur le muret de l’autre côté de la baie vitrée. Un rouge-gorge esseulé. Lâcher prise, rêver avec lui dans la fluidité de l’instant. Un peu de douceur et de couleur partagées. La manne de ce jour.

3/ Prendre le temps des attentions données aux particules de vie disséminées dans les interstices des jours. Ce sont elles qui permettent à l’esprit de ne pas vaciller, de reprendre souffle. Les mettre en mots, se les transmettre par le liseré de l’écriture est une manière d’espérer encore de soi, de la vie. L’incertitude face à ce qui se dessine donne à ce qui s’écrit des voies aléatoires, des possibilités d’îles.

4/ On parcourt des textes que l’on a écrits il y a longtemps et dont on n’a même plus aucun souvenir. On a la faiblesse de les trouver plutôt bien écrits, semblables à une vieille étoffe qui aurait conservé toute sa douceur sans avoir eue à subir le passage des mites. On se dit que l’on écrit moins bien maintenant. On se demande bien s’il reste quelque chose à espérer désormais.

5/ Avoir l’impression de se promener entre les ruines d’une ville que l’on a arpentée si souvent et que l’on reconnaît à peine, attristée qu’elle est avec tant de devantures fermées, affublées d’une pancarte à vendre ou à louer et dont personne apparemment ne veut. On déambule par habitude en se remémorant ce qui fut, et on imagine ce qui pourrait être. Par chance les librairies sont encore nombreuses !

6/ Chacun garde quelque chose et cultive certains traits d’une personne qu'il a connue et qui désormais n’est plus. Et forcément nos souvenirs et nos ressentis sont différents, selon qui l’on est. Sans doute personne n’a raison. La complexité de l’être humain fait qu’il se décline selon la personne qui le regarde avec le souvenir de son propre cheminement à ses côtés. L’essentiel doit être ce qu’il a semé en soi.

7/Se tenir sur un seuil, longtemps, parfois des années durant, c’est malgré tout être là. Et on voit d’autres gens au-delà de leurs propres seuils Aux entours de ces orées où se tenir, des espaces aux variations de verts, plus ou moins intenses, tendres ou brillants, des bleus aussi qui mûrissent et s’épanchent avec douceur. On maintient son séjour dans l’écart où l’on continue à tenir le fil de soi.



dimanche 28 septembre 2025

Quatrain /178

 

nos bras chargés des fatigues

de ce chemin pavé de ronces

épuisant dialogue intérieur

où les couleurs ont disparu

vendredi 26 septembre 2025

Journal d'un écrivain/ 19

 

Vendredi 12 décembre 1930 :

 Voici, je crois, le dernier jour où je prends le temps de respirer avant de m’attaquer à la dernière partie des Vagues. Je m’étais accordé un congé d’une semaine, c’est-à-dire que j’ai écrit trois petits récits, que j’ai traînaillé et passé une matinée à faire des courses, et une autre, aujourd’hui même, à m’installer une nouvelle table et à faire une chose et une autre ; mais je pense avoir retrouvé mon souffle et pouvoir travailler encore pendant trois ou quatre semaines. À ce moment-là, je pense que je reverrai toutes Les Vagues – les interludes – de façon à les fondre en un seul. Après quoi, ô mon Dieu, il faudra récrire certaines parties, et puis corriger, et puis envoyer le manuscrit à Mabel, et puis corriger la version dactylographiée, et enfin, le donner à Léonard. Léonard l’aura peut-être vers la fin de mars. Ensuite le mettre de côté, puis l’imprimer si possible en juin.

Virginia Woolf "Journal d'un écrivain" ( traduit par Germaine Beaumont) 

mercredi 24 septembre 2025

Les deux saisons



 
Attendant, vers le soir.
 
Vers le soir, attendant l'obscurité, je me mets au bureau et j'écris. Depuis que je suis obligé de ne plus sortir de chez moi, c'est la bonne heure: on capture les rêves, même sans le vouloir, tandis que les choses alentour, d'ordinaire indifférentes, s'animent et renvoient des souvenirs et des pensées. Reviennent des regards que je croyais perdus; je réentends quelques voix, revois des visages disparus depuis des années et qui ne sont plus jamais réapparus — des visages inventés, peut-être.
Parfois je bouge un peu et jette un coup d'œil par la fenêtre: il se passe toujours quelque chose là-haut, beaucoup plus que sur la terre, à l'heure brève où jour et nuit se confondent. À ce moment-là, au couchant, chaque variation de lumière est comme retenue dans l'air et intensifiée — pour peu de temps encore, avant la disparition — par les eaux et leurs miroirs, épars entre les îles, proches et lointains. 

 Aujourd'hui, après un vaste couchant orangé, s'ouvre soudain dans le silence, violemment, un pan de ciel bleu intense. Il tend au bleu-vert sur ses bords, sa couleur est peut-être le turquoise.
Puis il passe du bleu intense à un bleu encore plus profond, brillant et froid sur ses bords. Sa couleur, est peut-être à présent le cobalt.
Les campaniles les plus hauts, de ce côté de l'horizon, perdent leurs couleurs terrestres: ils deviennent célestes, bleu foncé ou cobalt. Les petits immeubles sur l'eau prennent un ton violet inédit. (...)
Mais commence lentement à s'étendre entre ciel et terre, à naître et à grandir, ce que chaque soir, nous appelons la nuit. Les campaniles retrouvent leur couleur terrestre, avant de disparaître; dans les petits immeubles sur le canal, quelques lumières font leur apparition, comme si le pire était passé. Et les premières étoiles d'une belle nuit d'hiver rejoignent leur place dans le dessin lumineux des constellations. ( p 109)


Paolo Barbaro " Les deux saisons", traduit de l'italien par Christophe Carraud ( Editions de la revue Conférence 2017)

lundi 22 septembre 2025

Ricochets/ Année 2/ Semaine 38

 


1/ Il y a un avant et un après la lecture d’un livre. L’écriture lue dessine un portrait de soi en mouvance. L’écriture modèle le lecteur, modifie la sculpture de qui il est. La tension entre ce que l’on vient de lire et ce que l’on cherche à être trace un nouveau soi. L’écriture du dedans de l’écrivain façonne l’autre intimité, celle du lecteur. Sans cela le livre n’est pas vivant..

2/ Le mot interstice vient se cogner à moi chaque jour. Il est là sans arrêt sur les pages que je lis, et je ne vois que lui, dans les fragments que je tente d’accumuler, dans la présence des uns et des autres...Et je le découvre neuf dans ce temps que l'Église fait observer entre la réception de deux ordres sacrés. Garder les interstices. Les interstices sont ordinairement de trois mois``

3/ L’absence de certitudes sur à peu près tout ce que je peux vivre me permet d’avancer comme sur une mer de nuages. Et donc de respirer à une certaine altitude. Je chemine, sinue, ondule, tangue au milieu de points d’interrogation, de doutes permanents, dans cet entre-deux d’existence, d’état ou de réalité. Dans des reflets mouvants. À user des peut-être comme on murmure bonjour ou à bientôt au milieu du carrefour.

4/ En retrait de toute foule. À l’écart du flux d’infos constant. Quelque part malgré tout, calfeutrée dans les interstices des pages que je lis. Et du souffle du vent. Des lisières mouvantes. La possibilité de seuils. Et la nécessité des silences. Le regard levé sur la cime d’un arbre et l’attente de l’oiseau. Celui qui veut et qui se pose un instant. Et le dialogue qui a lieu, se trame.

7/ Quand des strates de passé remontent et se marient à des alluvions de présent au sein de retrouvailles, où ceux qui ne sont plus, les absents éternels, sont malgré tout encore parmi nous. Ils traversent nos échanges, on chante leurs chansons, des souvenirs affleurent, et des fous rires fusent. Les paysages se lisent comme les parchemins de nos vies. On marche entre les lignes de ce qui nous a construits.

mardi 16 septembre 2025

Ricochets/ Année 2/ Semaine 37

 


1/ Écrire c’est parler un langage en train de se dire, sans savoir sur quelle sente il va nous conduire. On voudrait pouvoir condenser ce qui s’écrit. Être dans une phrase de la brièveté. Pour la force ainsi insufflée. Un jet de mots amassés, des mots pierres. Une onde de choc. Qui cherche à se répéter, se dupliquer, se dédoubler. Pour atteindre plus large, plus loin. Atteindre un but, quelqu’un peut-être.

2/ Rendre ou donner leur poids aux mots que l’on lit. C’est manière de les honorer et de se tenir à l’écoute de ce qu’ils peuvent vouloir nous dire. C’est particulièrement vrai si l’on cherche à traduire d’une langue à l’autre. On se tient dans l’entre-deux ; on cherche à maintenir l’équilibre entre les sens, à faire résonner la tension entre les deux langues. On se revêt de l’habit du peut-être.

3/ Sensation de passer à côté de tout se qui se trame ici ou là dans le monde. Ne plus avoir la compassion nécessaire ou les forces pour. Se détacher en quelque sorte, et ressentir cet éloignement comme si j’étais mise sur la touche du jeu qui se déroule. Comme si je m’éloignais sur la pointe des pieds, me retirais du mouvement collectif où je ne suis plus à ma place.

4/ Au passage des corps, des hérons se déploient. Leurs ailes se déplient, la tête vers le ciel. Une certaine lourdeur dans la lenteur du vol. Un deux puis trois hérons gris ou blancs disparaissent. Au milieu des feuillages ils trouvent un refuge. Ils patientent. J’ai dérangé leur vie, froissé leur silence et leur méditation de par mon passage. Je conserve ce qu’ils m’ont donné, cet instant où l’on peut s’envoler.

5/ S’immerger entre les pages d’un livre pour l’imprévu qui peut-être y restera caché si l’on n’est pas attentif. Pour y dénicher l’insolite ou l’inouï qui nous est offert. Pour les promesses d’oubli d’un réel dont on ne peut plus supporter les griffes. Pour ce pas de côté salutaire sur un sentier où l’on ne savait pas que l’on aimerait marcher. Pour respirer plus grand plus fort plus loin plus haut.

6/ Être ailleurs. En permanence. Dans le passé, dans le futur et rarement dans le présent, excepté avec mes peties-filles sans doute. Je réapprends le présent et une présence vive avec elles. Leur quête de savoir, de voir, d’avoir est immense. Leur intensité de vie me secoue et je tente d’être à la hauteur de ce qu’elles sont en train de devenir, de faire partie de leur horizon avant de m’effacer.

7/ Dans les marges de ce qui se dit, se lit, s’écrit, des bribes de beaucoup de voix, autres, qui s’infiltrent se glissent dans mes propres mots. Mais on est toujours entre le dire et le taire. Ce qui se voit et ce qui s’entend travaillent le corps de la langue qui s’écrit sans le décider. On est toujours au seuil de... lorsque l’on cherche à écrire. Sans savoir de quoi.



dimanche 14 septembre 2025

Quatrain/ 177

 

quelqu’un ce matin dira

rien n’est prêt même l’aube

sur le fil ténu du ciel

comme une autre langue

vendredi 12 septembre 2025

La mémoire délavée

 


Quand revient le temps des étourneaux qui se déploient dans le ciel pour dessiner des figures liquides et mouvantes, je vois gonfler et se former une dame-jeanne.

Puis un chapeau épais qui lentement se mue en voile qui bat au vent, s’éloigne et disparaît. J’essaie de décrypter le ballet des étourneaux comme je décrypterais un rébus, en espérant que chaque tableau soit un mot, et, mis bout à bout, ces mots forment une phrase et soudain, cette phrase serait ma première, mon évidence.

Quand revient cette année le temps de ces oiseaux qui empruntent, comme les hommes, des couloirs de migration, suivant on ne sait quel vent favorable, pour trouver plus de nourriture et plus de chaleur, je me demande comment ils les trouvent, ces chemins-là, ces oiseaux-là. Est-ce que subsiste la mémoire d’un passage à travers le ciel qui se transmettrait de bec en bec, d’année en année ?

C’est à la tombée du jour qu’ils apparaissent. C’est à la tombée du jour que nous sommes les plus vulnérables. Il y a ces minutes étranges, gris-bleu, glissantes, quand le soleil s’en va et quelque chose venu du fond des âges remonte et se rappelle à nous. Une peur, une intranquillité, une fragilité. Nous pressons le pas, nos cœurs sont plus lourds et nos enfants pleurent sans raison. À la tombée du jour, j’arrête d’écrire et je me rends compte combien cette chose entreprise il y a quelques mois m’échappe. Cette chose, je dis. Cette chose, comme si elle existait quelque part, cette chose tel un objet. Cette chose m’échappe, je dis. Elle n’est ni ici ni là. Cette chose, c’est un récit sur mes grands-parents et je ne l’ai encore pas trouvée aujourd’hui, à l’heure où s’agitent les étourneaux. 

Natacha Appanah "La mémoire délavée" ( Mercure de France 2023) 

lundi 8 septembre 2025

Ricochets/ Année 2/ Semaine 36

 


1/ Un faisceau de lumière insolite, pourrait-on écrire, qui s’échappe des pages d’un livre, qui tente de nous surprendre, de nous éveiller de la forme d’assoupissement qui commençait à nous envahir, malgré, nous semblait-il, une attention de la lecture soutenue. Là dans ce rayonnement de mots une haute tension soudaine, une densité d’être en expansion, simplement revivifiée par quelques mots mis bout à bout, comme un fil à ne pas lâcher.

2/ Le réel du matin, quand on ouvre les yeux sur ce qui nous entoure, quand on se remémore le rêve de la nuit qui pourrait peut-être nous faire progresser en nous-même, ce réel avec les rayons de soleil qui entrent dans la maison, un peu plus tard chaque jour, ce réel avec lequel il va falloir composer – douleurs, fatigue, soucis mais aussi projets, rencontres, balades – : chaque matin à embrasser.

3/ Réorganiser la pièce où je lis, j’écris, je vis ( je travaille?) est nécessaire, souvent à chaque rentrée scolaire, comme le souvenir de ma vie d’avant. Et jeter. Il y a un temps pour jeter. Il y a un temps pour tout. Et il y a tant de choses, de papiers inutiles dont je pourrais me séparer. Jeter pour faire de la place en soi. Je progresse à petits pas.

4/ La stabilité et l’instabilité de l’instant ensemble ressentis. À vivre debout. Pieds nus sur un terrain glissant. Lumière à l’avant de soi et ombres qui jaillissent. Tout se vit dans une forme de respect. L’équilibre et le déséquilibre comme moteurs d’avancée, dans une coexistence pacifique. L’instant ajouté à un autre instant et encore un autre dans une conscience claire et sereine de ce qui a lieu est un pourvoyeur d’horizons.

5/ Avant de décider d’aller quelque part, on se lève et on choisit simplement d’aller. Peu importe la destination. Quel que soit le sentier où se pose le pas, c’est la marche qui importe. Mettre en mouvement le corps en une quête de métamorphose. Attendre sans rien susciter. L’esprit se tient en embuscade. Prêt à traduire ce qui monte du pas au contact de la terre, dans cette intimité des sens.

6/ Vivre à l’ombre de tout ce qui a déjà été gravé sur les pages des livres. De cette ombre naît la lumière nécessaire. On feuillette un recueil, quelques lignes se lisent dont on ne savait pas la couleur, la richesse, l’espoir qu’elles pouvaient apporter, la sérénité aussi. Le regard qui se déplace alors est riche de ce qu’il vient de lire et se dépose avec douceur sur les entours.

7/ Le halo de silence où je me tiens le plus souvent possible, rayé par le chant des oiseaux certains matins, dont je réalise que ces jours-ci je ne les entends plus, ce lieu donc, où je suis recluse, dans la pénombre des étagères de livres qui veillent derrière moi, m’est indispensable. L’impression d’exister uniquement dans ce lieu. J’ai cette chance inouïe de pouvoir y être, au sens fort du terme.



samedi 6 septembre 2025

Choses incertaines à laisser décanter

 


( l’uniforme gris du ciel pèse un peu)

face à ce ciel de tension --- se réfugier dans ce qui fait être — ce qui ouvre le regard — ces mots blancs comme les cailloux ramassés en bord de mer* — comme ces grappes de lichens sur les troncs d’arbres — où circule entre les thalles — un air de rien — un canevas nébuleux — qui cherche à se dire — avec le déhanchement des doigts sur le clavier — dans une évidence — ou une forme de désarroi — les yeux vides ou blancs — ne savent plus très bien — ils sont au bord — au seuil de l’image à venir — 

*Virginia Woolf 

 

jeudi 4 septembre 2025

Propos d'altitude

 


 Plus que maintes idées reçues, plus que maintes idées apprises, plus que les convictions officiellement déclarées, plus que les conditions nécessairement embrassées, les paysages – quelques paysages – sont les véritables idées directrices de notre vie : les horizons aimés ont l’attrait d’un aimant. Et ce n’est point sans quelque émotion ni sans quelque sentiment de douceur insigne que nous découvrons sur le tard, pour le serrer en nous-mêmes, l’album de ces quelques arrondissements terrestres qui alimentent sans mot dire toute notre métaphysique. Ce sont quelques lointains qui font tout notre intime.

François Cassingena-Trevedy "Propos d'altitude"

mardi 2 septembre 2025

Ricochets/ Année 2/ Semaine 35

 


1/ La question de poursuivre cette écriture là, celle des ricochets, se pose de temps à autre. Habitude ou certitude, qu’en est-il ? Travail de la langue ou un simple épanchement ? On rêverait d’étincelles plus intenses capables de faire partir un feu. Poursuivre malgré tout ce protocole d’écriture : soixante-dix mots chaque matin en écho à quelques lignes lues ou entendues, quelques mots de l’entre-deux qui cherchent à se dire.

2/ Vouloir rattraper le parcours des rêves, en conserver quelques images, mettre des mots dessus et tenter d’en déchiffrer l’arrière-pays. Écrire ce qui émerge de ces songes au réveil. Il semble que plus on y prête attention, plus les souvenirs du matin s’enrichissent. C’est une sorte de travail à faire. Peut-être qu’à force de les noter on pénétrera plus loin dans cette zone de soi, et que ce sera une évidence.

3/ Se situer face à l’excès lorsque l’on décide de poser des mots sur ce qui advient, d’écrire ce qui semblerai avoir été. Distendre le minuscule, le trois fois rien, l’instant que nul ne voit et l’exhausser vers une marche plus haute, qui menacerait l’équilibre, et nous ferait être dans le suspens d’une pensée. Des images alors, des métaphores pour dire ce surplus de vie ainsi donné, l’élan face au jour.

4/ Ne pas abandonner l’écriture de cette forme de bréviaire. Prendre le temps de ce bref passage chaque matin à poser ces échos de vie. Manière de muscler mon esprit comme je donne à mon corps, par le biais de la marche, la manne dont il a besoin pour continuer à être. Participer ainsi à ne pas déserter son centre de gravité et à le stabiliser. Le terme bréviaire soudain importe.

5/ L’agir dans l’écriture commence souvent par la marche. Cela marche aussi en tête . L’agir de l’écriture est aussi et d’abord dans la lecture. Prendre le temps d’une lecture lente. Certains textes, de par leur puissance, l’ange qui se situe dans l’arrière des mots, émettent un sol favorable à implanter une écriture que l’on ne savait pas vouloir abandonner ce jour. Le don des mots, de phrases, une poétique d’être

6/ Retenir un bout de réel. Le tenir sous ses yeux et le conserver en soi. Le laisser diffuser au travers de son être le temps nécessaire. Corps à corps du réel et de la pensée reliés par la poésie. Prendre vie des souffles mêlés. Comme lorsque retentissent encore dans quelques villages les cloches de l’Angélus. Glaner ces étincelles d’étrange qui nous sollicitent aux angles de nos vies un peu ternes.

7/ il s’agit de tirer le fil écrit Christine Jeanney dans un de ses block-notes. Il est très rare que j’ai une aiguille entre les doigts et de la couture à réaliser, ce n’est pas ma manière de me réaliser. Mais tirer le fil des mots, les extraire d’une lecture qui a percuté mon esprit, puis faire un nœud avec mes propres mots qui naissent et poursuivre le fil de l’engendrement.