J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

mercredi 22 octobre 2025

Quatrain/ 180

 


pauvres pas essoufflés

nous sommes errants de nous

dégustons le bruit des feuilles sous nos pas

sang épais dans la bouche

lundi 20 octobre 2025

Ricochets/ Année 2/ Semaine 42

 


1/ Des sédiments sont déposés au fond de soi. Ainsi que du silence qu’il faut savoir écouter. Alors même que l’on pensait ne plus en avoir la nécessité, voilà que cela remue dans les tréfonds de soi, et qu’une décision que l’on était prêt à prendre est totalement remise en cause parce que, tout au fond, quelque chose remue et nous fait reconsidérer le choix qui allait se faire. Alors, s’écouter.

2/ Dans un dehors où semble-t-il il n’y a personne, poursuivre son errance, puisque rien d’autre n’est à trouver. Errer sans se perdre. Poser le regard sur ce qui importe et porte vers un au-delà de soi. C’est un sentiment de vie qui me suffit. Avec le vol d’un oiseau qui traverse et révèle ce qui au fond de soi est en train de se dire se balbutier, et de s’écrire.

3/ Sentiment d’être vivante dans le fait même d’être dans un état de pensée, par exemple, pendant une lecture que je suspends le temps de reprendre le fil des mots afin de bien réaliser ce qui veut se dire là, ou bien lorsque cela s’écrit, à la vue des mots qui prennent forme sur l’écran d’ordinateur pour tenter de mettre face à moi, dans le miroir, les circonvolutions étranges qui m’habitent.

4/ Comme une vague de clarté, la nécessité de lire, ne serait-ce que quelques lignes, pour commencer la journée. Ouvrir le livre, celui du matin, qui se donne par à-coups de notations, de pensées brèves, de citations hétérogènes, et s’immiscer dans ce qui sera la vie de ce jour, en espérant pouvoir la traverser avec un esprit à la hauteur de ce qui se demande pour être soi dans sa totalité.

5/ Quelque chose s’immisce au plus profond de soi sans pouvoir être nommée. On absorbe sans se poser trop de questions, comme une belle journée de lumière qui déboulerait sans crier gare en plein milieu d’une période de brouillard. Cela aère l’esprit et permet de penser plus large, et plus haut aussi sans doute. Se découvrir penseur de l’instant et écrire face à l’éclat qui soulève et apaise en un même élan.

6/ Comment ne pas ressentir l’être en devenir que sont ces petites filles qui m’importent, que je côtoie un jour par semaine, et dont je m’émerveille à chaque rencontre, en prenant acte de ce que chacune a de différent depuis la semaine précédente. En chacune d’elles, se développe une réalité dont toutes les clés ne nous sont pas données. Chaque jour leur devenir soi se consolide et trace son propre chemin

7/ La lecture n’occupe pas encore assez de place dans mes journées puisque je ne viens pas à bout de tous les livres qui patientent près de moi. Il faudrait être plus méthodique que je ne le suis. Et ne pas me plonger dans plusieurs livres en même temps comme je le fais actuellement. Sans parler de ceux que j’ai besoin de relire pour la préparation d’ateliers d’écriture. De la rigueur...

samedi 18 octobre 2025

Écrire

 


Écrire n’a pas d’objet.
À la question : « qu’est-ce que vous écrivez ? », on ne sait pas répondre. On répond n’importe quoi, et on pourrait répondre : « n’importe quoi ». Il n’importe le quoi d’Écrire, qui n’a pas d’objet identifié à saisir pour se compléter : il secrète son monde, qui n’existe pas avant. Écrire n’est pas intransitif mais ce à quoi il permet la traversée n’est pas déjà répertorié. N’est pas un objet — même inédit. C’est un accès de vie, en langue, qui file entre les doigts de qui veut le rapporter — le rapporter aux lieux connus de stockage : thème, genre, sujet, histoire.

Christiane Veschambre  Écrire, Un caractère ( Éditions Isabelle Sauvage 2018)

jeudi 16 octobre 2025

Journal d'un écrivain/ 21

 

Mardi 30 décembre 1930

Cela manque sans doute d’unité, mais je crois tout de même que c’est assez bon. (Je me parle à moi-même des Vagues au coin du feu.) Supposons que j’aie pu réunir toutes les scènes plus étroitement, surtout par le rythme, afin d’éviter ces ruptures, afin que le sang coure, d’un bout à l’autre comme un torrent. Je ne veux pas de ce gaspillage que sont les interruptions, je veux éviter les chapitres. Cela, du moins, c’est ma réussite si on peut parler de réussite. Un tout, nourri et ininterrompu, des changements de scènes, de pensées, de personnes, accomplis sans une goutte versée. Si ce pouvait être achevé avec chaleur, avec élan, c’est tout ce que cela demande encore. Et, pendant ce temps, je sens ma température qui monte. Ce qui ne m’a pas empêchée d’aller à Lewes, ni les Keynes de venir pour le thé. Et comme je me suis remise en selle, le monde retrouve ses proportions. C’est le fait d’écrire qui me donne mes proportions. 

Virginia Woolf " Journal d'un écrivain" (traduction Germaine Beaumont )

mardi 14 octobre 2025

Ricochets/ Année 2/ Semaine 41

 



1/ Être soi en occultant l’idée de l’immensité. Les ans s’ajoutant aux ans, on se rend compte que l’accomplissement de soi passe aussi dans de petites choses, de petits gestes qui ne vont pas révolutionner la terre. Les articulations du monde d’aujourd’hui ne sont plus de notre ressort. Nous sommes comme cette lumière oblique d’octobre, à regarder autour de nous et se contenter de détails qui reçoivent la lumière du jour.

2/ En déplaçant des phrases ou des mots dans un texte change les possibles de ce qui est en train de naître dans l’écriture. Des ouvertures se mettent au jour, des chemins d’écriture autres se dessinent, des choix de frottement de mots placés ailleurs révèlent un univers qui peut-être appelle à faire voltiger ce qui s’écrit dans des zones inconnues, vers un accroissement de la lumière, ou un épaississement du secret.

3/ Je lis un livre à rebours. Je déambule dans son univers de droite à gauche. Il a cette particularité de pouvoir être lu ainsi. Je ne pense pas en le lisant. Je laisse juste les chapitres se dérouler dans la bascule qu’ils proposent, dans ce déséquilibre où la lecture nous entraîne. Quelque chose se tisse et se défait puis se retisse : l’esprit flotte entre les mots coquelicots recueillis.

4/ L’effort à réaliser chaque matin pour entrer dans le jour avec tout son être. Ne rien laisser sur le bas côté, mettre en œuvre tous les muscles du corps et de l’esprit. Passer outre les limites où le confort nous suscite. Faire le pas de plus qui fait avancer davantage au-delà de qui on est. Maintenir le plus possible sa bulle d’être à l’horizontale, comme celle d’un niveau de maçon.

5/ Outrepasser le seuil de désenchantement. Saisir les petits riens de naissance autour de soi : cette lumière d’octobre qui caresse les prés, leur donnant un surcroît de vigueur, et laissant susciter, entre les brins d’herbe doucement agités par la brise, l’évanescence d’un rêve qui nous emporte loin d’un quotidien tout alourdi de nos peurs. Artifice d’une distraction, bercement d’illusion sans doute mais un pas de côté qui recharge les batteries.

6/ Où situer notre assise mentale ? Ce point en soi où nous nous sentons en équilibre, où nous reconnaissons un lieu d’être, où il nous semble trouver les forces pour poursuivre le chemin, le point étroit peut-être où notre vie s’articule et nos pensées se mettent en place, où la voix se fait claire, se ponctue d’une intonation à nous seuls donnée, la poésie étrange de l’être que l’on est.

7/ Ici ou ailleurs, les bruits du monde nous absorbent. Ils cèlent tout avenir, noircissent tous les horizons vers lesquels se tourner, désespèrent l’espérance. Alors, écrire ces pacotilles semble dérisoire, fait preuve d’un manque d’ambition, et ne révèle qu’une forme d’impuissance. Mais se dire chaque matin que l’on est au seuil de quelque chose en tentant d’écrire est une certaine victoire sur soi. Des mots de passe pour se tenir droit.

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dimanche 12 octobre 2025

Choses qui tourbillonnent

 


 ( lentement la lumière du matin se dilue sur le jardin)

dans les tourbillons des paradoxes — les pensées se tricotent et se détricotent — délivrent quelques lumières — comme on allume les bougies d’anniversaire — s’écrasent sur l’autrement du temps qui surgit — tentent une langue imprévue — avec de petites attentions — l’amorce d’un bleu ardoise — une surenchère d’un bleu outremer — une transparence de blanc — ces pensées morcelées dissimulent les grincements du corps — lancent des hypothèses pour le jour qui vient — déposent un refrain sur les lèvres — dans une langue ancienne — que l’on retrouve sans trop savoir comment — et qui se chantonnera encore et encore —

vendredi 10 octobre 2025

Quatrain/ 179

 

pour suturer le temps

la lumière frotte sa langue

à l’abri des rafales

pour faire monter l’intense

mercredi 8 octobre 2025

Visions claires d’un semblant d’absence au monde

 

J’ouvre le livre,

un peu comme

on ouvre une fenêtre

pour découvrir, dès l’aube,

un fragment du paysage.



Après je bénis le jour.

Personne ne me voit. Je parle.

Je donne du pain aux morts.

Et je jette les dernières étoiles

au fond du puits.


Jacques Josse " Visions claires d’un semblant d’absence au monde" 

( Éditions Paroles d'aube 1998)


lundi 6 octobre 2025

Ricochets /Année 2/ Semaine 40

 


1/ Sur le visage, sentir la réverbération de ce qu’on a été. Les rides qui sinuent sont traces de nos parcours ici ou là, avec les uns et les autres car on ne se construit pas seul. Les livres lus ont abandonné quelques mots dans les ridules de nos épidermes. Ils sont des braises qui n’attendent qu’une étincelle et un souffle bienvenu pour reprendre flamme. Un presque rien encore en cours.

2/ La difficulté de désapprendre est grande : des pensées, des comportements, un imaginaire et tout ce qui est si bien inséré en nous que l’on pense que ce sont nos propres idées. Travail de toute une vie que d’arriver à se créer son propre univers mental et renoncer aux images mentales inculquées sans que l’on n’y puisse rien. Le bonheur aussi de se sentir réfléchir en soi et pour soi.

3/ Tenter de résumer la vie d’un homme, qui a vécu en une grande intensité et longtemps, en quelques lignes, est parfois mission impossible, mais c’est un travail d’écriture intéressant qui oblige à placer le curseur sur ce qui ne peut être oublié. Il faut se positionner en altitude et laisser s’élever ce qui le doit. Recueillir alors ces émanations qui ont rempli la manière qu’il a eue d’habiter le monde.

4/ Une marge entre deux mondes, un espace étréci entre un devant et un derrière, un avant et un après, un temps d’attente, de réflexion, de méditation où le retour en arrière est toujours envisageable, où le pas en avant est peut-être souhaité, mais n’a pas de caractère d’obligation, ce n’est pas encore le passage, mais bien ce lieu fragile, incertain où tout est encore possible avant ce passage du seuil.

6/ Les berges de la Loire longées pendant une heure avec les pensées qui suivent leur propre cours, nourries par le chant agréable d’un oiseau qui restera bien caché, l’envol de hérons que l’on a sans doute dérangés, les coups de cloche de l’église d’un village aimé empli de souvenirs, les feuilles rouges voletant ici ou là sous l’emprise du vent qui amène aussi quelques nuages gris et quelques gouttes d’eau.

7/ Au plus creux de soi, laisser le ruissellement de la vie faire le travail qui se doit. Laisser mûrir les pourquoi dans le tiroir des doutes. Se nourrir de silence, d’une ombre, d’un soupir, d’un frémissement dans le feuillage d’un arbre rougissant, d’un charroi de nuages blancs qui passent sans se douter qu’on les regarde et qu’on se dise qu’on aime les suivre du regard et se perdre avec eux.

samedi 4 octobre 2025

Journal d'un écrivain/20

 

Mardi 22 décembre 1930 :

Il m’est venu à l’esprit hier soir, tandis que j’écoutais un quatuor de Beethoven, que je fondrais dans le discours final de Bernard tous les passages interposés, et que les derniers mots seraient : « Ô solitude. » Ainsi lui ferai-je intégrer toutes ces scènes sans autre interruption. C’est également pour montrer que le thème effort prédomine, et non les vagues. Et la personnalité. Et le défi. Mais du point de vue artistique, je ne suis pas sûre de l’effet, car les proportions pourraient exiger peut-être l’intervention des vagues à la fin, pour amener une conclusion.

Virginia Woolf "Journal d'un écrivain" ( traduit par Germaine Beaumont) 

jeudi 2 octobre 2025

Choses qu'on voudrait autres

 


( comme un nouveau ciel bleu qui s’installerait)

à nouveau cela brasse encore en tête — des saccades d’angoisse surgissent — se sentir comme une pierre — des instants où les mots se brisent — les lèvres que l’on serre un peu trop fort — ou que l’on mordille sans s’en apercevoir — des gestes de doigts saccadés — se tourner vers le ciel — à la recherche d’un nuage de calme — une respiration plus lente — une sérénité soudaine et stable — une parole qui traverse irriguée de mots doux — des éclosions d’images d’un bleu doux — des murmures sucrés — de longues lampées d’air — un rythme de souffle sans remous —

mardi 30 septembre 2025

Ricochets/ Année 2/ Semaine 39

 


1/ Toutes ces paroles qui fusent, s’échangent, déstabilisent, remuent comme autant de courants d’air, puis s’échappent, se perdent, meurent aussitôt mises au monde, oubliées de presque tous. Choisir ses mots, les élever au rang de pépites, les rendre rares, n’en délivrer que le nécessaire pour un quotidien serein. Et laisser des ruisseaux de silence abreuver l’entre-deux des échanges. En quoi le silence fait-il si peur qu’il est rompu en permanence ?

2/ Dans l’épais brouillard de la vie ordinaire, tenter de se diriger, d’éviter les écueils sur le chemin, d’avancer pas à pas entre les ombres. S’accrocher quelques instants aux ailes d’un oiseau venu se reposer sur le muret de l’autre côté de la baie vitrée. Un rouge-gorge esseulé. Lâcher prise, rêver avec lui dans la fluidité de l’instant. Un peu de douceur et de couleur partagées. La manne de ce jour.

3/ Prendre le temps des attentions données aux particules de vie disséminées dans les interstices des jours. Ce sont elles qui permettent à l’esprit de ne pas vaciller, de reprendre souffle. Les mettre en mots, se les transmettre par le liseré de l’écriture est une manière d’espérer encore de soi, de la vie. L’incertitude face à ce qui se dessine donne à ce qui s’écrit des voies aléatoires, des possibilités d’îles.

4/ On parcourt des textes que l’on a écrits il y a longtemps et dont on n’a même plus aucun souvenir. On a la faiblesse de les trouver plutôt bien écrits, semblables à une vieille étoffe qui aurait conservé toute sa douceur sans avoir eue à subir le passage des mites. On se dit que l’on écrit moins bien maintenant. On se demande bien s’il reste quelque chose à espérer désormais.

5/ Avoir l’impression de se promener entre les ruines d’une ville que l’on a arpentée si souvent et que l’on reconnaît à peine, attristée qu’elle est avec tant de devantures fermées, affublées d’une pancarte à vendre ou à louer et dont personne apparemment ne veut. On déambule par habitude en se remémorant ce qui fut, et on imagine ce qui pourrait être. Par chance les librairies sont encore nombreuses !

6/ Chacun garde quelque chose et cultive certains traits d’une personne qu'il a connue et qui désormais n’est plus. Et forcément nos souvenirs et nos ressentis sont différents, selon qui l’on est. Sans doute personne n’a raison. La complexité de l’être humain fait qu’il se décline selon la personne qui le regarde avec le souvenir de son propre cheminement à ses côtés. L’essentiel doit être ce qu’il a semé en soi.

7/Se tenir sur un seuil, longtemps, parfois des années durant, c’est malgré tout être là. Et on voit d’autres gens au-delà de leurs propres seuils Aux entours de ces orées où se tenir, des espaces aux variations de verts, plus ou moins intenses, tendres ou brillants, des bleus aussi qui mûrissent et s’épanchent avec douceur. On maintient son séjour dans l’écart où l’on continue à tenir le fil de soi.



dimanche 28 septembre 2025

Quatrain /178

 

nos bras chargés des fatigues

de ce chemin pavé de ronces

épuisant dialogue intérieur

où les couleurs ont disparu

vendredi 26 septembre 2025

Journal d'un écrivain/ 19

 

Vendredi 12 décembre 1930 :

 Voici, je crois, le dernier jour où je prends le temps de respirer avant de m’attaquer à la dernière partie des Vagues. Je m’étais accordé un congé d’une semaine, c’est-à-dire que j’ai écrit trois petits récits, que j’ai traînaillé et passé une matinée à faire des courses, et une autre, aujourd’hui même, à m’installer une nouvelle table et à faire une chose et une autre ; mais je pense avoir retrouvé mon souffle et pouvoir travailler encore pendant trois ou quatre semaines. À ce moment-là, je pense que je reverrai toutes Les Vagues – les interludes – de façon à les fondre en un seul. Après quoi, ô mon Dieu, il faudra récrire certaines parties, et puis corriger, et puis envoyer le manuscrit à Mabel, et puis corriger la version dactylographiée, et enfin, le donner à Léonard. Léonard l’aura peut-être vers la fin de mars. Ensuite le mettre de côté, puis l’imprimer si possible en juin.

Virginia Woolf "Journal d'un écrivain" ( traduit par Germaine Beaumont) 

mercredi 24 septembre 2025

Les deux saisons



 
Attendant, vers le soir.
 
Vers le soir, attendant l'obscurité, je me mets au bureau et j'écris. Depuis que je suis obligé de ne plus sortir de chez moi, c'est la bonne heure: on capture les rêves, même sans le vouloir, tandis que les choses alentour, d'ordinaire indifférentes, s'animent et renvoient des souvenirs et des pensées. Reviennent des regards que je croyais perdus; je réentends quelques voix, revois des visages disparus depuis des années et qui ne sont plus jamais réapparus — des visages inventés, peut-être.
Parfois je bouge un peu et jette un coup d'œil par la fenêtre: il se passe toujours quelque chose là-haut, beaucoup plus que sur la terre, à l'heure brève où jour et nuit se confondent. À ce moment-là, au couchant, chaque variation de lumière est comme retenue dans l'air et intensifiée — pour peu de temps encore, avant la disparition — par les eaux et leurs miroirs, épars entre les îles, proches et lointains. 

 Aujourd'hui, après un vaste couchant orangé, s'ouvre soudain dans le silence, violemment, un pan de ciel bleu intense. Il tend au bleu-vert sur ses bords, sa couleur est peut-être le turquoise.
Puis il passe du bleu intense à un bleu encore plus profond, brillant et froid sur ses bords. Sa couleur, est peut-être à présent le cobalt.
Les campaniles les plus hauts, de ce côté de l'horizon, perdent leurs couleurs terrestres: ils deviennent célestes, bleu foncé ou cobalt. Les petits immeubles sur l'eau prennent un ton violet inédit. (...)
Mais commence lentement à s'étendre entre ciel et terre, à naître et à grandir, ce que chaque soir, nous appelons la nuit. Les campaniles retrouvent leur couleur terrestre, avant de disparaître; dans les petits immeubles sur le canal, quelques lumières font leur apparition, comme si le pire était passé. Et les premières étoiles d'une belle nuit d'hiver rejoignent leur place dans le dessin lumineux des constellations. ( p 109)


Paolo Barbaro " Les deux saisons", traduit de l'italien par Christophe Carraud ( Editions de la revue Conférence 2017)