J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

vendredi 25 mars 2011

Chronique d'un égarement

Rien n'a changé. Ou presque. Obstinée, une mouche s'acharne sur moi. Je la chasse , elle revient. Comme cette voix entre regard et mémoire. Silencieuse, elle se pose dans ma bouche. Le vent est une pluie d'éclats: lueurs, cris, grincements, et ce bruit de mer des branches secouées. Un tracteur passe, un camion. J'énumère. Ma manière à moi d'être là, d'épeler le jour, d'articuler son nom. Demain, hier sont les ombres portées d'un présent qu'on ne voit pas . Je suis perdu. A chaque mot, changement de décor. Ce que je reconnais n'est pas ce qui m'attend. Mes deux pieds apparaissent, disparaissent. Trop loin, trop près. Si je marche, c'est l'espace qui bouge. Si je m'assois, c'est lui qui s'arrête. Le géranium vibre, le pinson s'égosille. Qu'est-ce que je fais là au milieu ou sur les bords? Qu'est-ce qui s'en va , qui vient?

Je dis: on ne voit pas le vent. Je dis : on le voit. Mais c'est entre qu'il se trouve, entre ne pas voir et voir. Comme le sens entre un mot et un autre. Toujours entre. Là où je me perds. Entre ce jour et ce jour, ce ciel et ce ciel.

Jacques Ancet " Chronique d'un égarement" (Editions Lettres vives" février 2011)

1 commentaire:

Estourelle a dit…

"Entre":

Traduire: se perdre entre un mot ou un autre, entre un mot et un autre

Avancer dans un paysage flou
se perdre et se trouver
dans le même mouvement
comme accompagner
l'oscillation de la terre