J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

dimanche 5 juillet 2015

Le liseur

Qui le connaît, celui-là dont le visage
s'enfouit loin de l'être dans un ailleurs
que seule le tournée rapide des pages
interrompt parfois violemment ?

Sa mère elle-même ne serait pas certaine
que c'est bien lui qui est là, s'abreuvant
à son ombre. Et nous, qui avions des heures,
savons-nous combien lui échappèrent jusqu'à

ce qu'il levât péniblement les yeux : hissant
avec eux tout ce qui se cachait en bas, dans le livre,
des yeux qui, au lieu de prendre, se heurtent
en voulant donner à la plénitude du monde :
comme des enfants sages, aux jeux solitaires,
éprouvent tout d'un coup l'existant ;
mais ses traits, qui étaient ordonnés,
restèrent à tout jamais dérangés.

Rainer Maria Rilke

1 commentaire:

Patrick Lucas a dit…

très très beau
... envie de lire