tu
sais, je connais tes itinéraires dans la ville, nous avons à peu
près les mêmes… enfin pas tout à fait non plus…; les
librairies et les bouquinistes où je te regarde ranger les piles de
livres , redresser un exemplaire un peu penché, lire la quatrième
de couverture, le reposer, penser sans doute que non tu ne peux pas
encore acheter, que tu n’as pas encore lu tous les livres achetés
ces derniers temps ….je te suis parfois dans le vieux quartier
piétonnier et je remarque que tu ne regardes pas vraiment ceux qui
sont à la marge, couchés par terre ou faisant la manche, que tu
cherches à ignorer ces mecs qui vendent de la drogue dans les coins
sombres, sous un proche, à l’orée d’une impasse…, que la
saleté de certaines rues ne semble pas te toucher, tout à ressasser
tes souvenirs sans doute, et sens-tu le fossé qui se creuse entre
les gens de cette ville, les commerces qui ferment et ces rues qui se
désertifient, tu marches avec ton regard d’enfant qui semble
parfois en jachère d’apparitions, tu touches la pierre des murs
comme si d’un geste magique ce qui a été pouvait être à
nouveau, renaître, rejaillir de l’humus des souvenirs, comme si tu
déchiffrais sous tes paupières closes le cheminement d’ ombres
qui ont été: elles ne sont plus, réveille-toi et regarde cette
ville telle qu’elle est aujourd’hui à charrier des vies de plus
en plus déchirées, à suinter de détresse, couturée de points de
suture qui craquent à chaque fin de mois; et si tu veux rester dans
le passé, regarde les terrils – nos crassiers – ce ne sont pas
que des proéminences vertes qui verticalisent la ville et qui font
jolis sur une carte postale, tu as oublié ou
peut-être jamais vraiment su le travail des mineurs d’ici, celui
des femmes, les clapeuses aux mains dans le charbon tout au long des
jours, les coups de grisou et tous les autres malades de
silicose...Allons je ne veux pas noircir ton regard mais il faut
faire attention et ne pas oublier de poser les yeux là où cela
irrite un peu, considérer les échardes plantées dans l’asphalte
de la ville, les souffrances qui vous envahissent tout d’un coup.
Ici point de fleuve où laisser filer ses pensées , point de plage
ensoleillée où reposer ses os, mais des maisons sombres qui se
métamorphosent doucement, c’est vrai, mais il y a encore tant de
gens à la marge….
16ème texte (correspondant à la proposition d'écriture de la vidéo 16) pour l'atelier d'écriture d'été animé par François Bon sur son site Tiers-Livre: " Construire une ville avec des mots".
16ème texte (correspondant à la proposition d'écriture de la vidéo 16) pour l'atelier d'écriture d'été animé par François Bon sur son site Tiers-Livre: " Construire une ville avec des mots".
1 commentaire:
C'est si simplement vrai
une ville et sa douleur dessous ou dedans
bien rentrée bien fermée
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