J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

mercredi 25 juillet 2018

l’envers du décor


tu sais, je connais tes itinéraires dans la ville, nous avons à peu près les mêmes… enfin pas tout à fait non plus…; les librairies et les bouquinistes où je te regarde ranger les piles de livres , redresser un exemplaire un peu penché, lire la quatrième de couverture, le reposer, penser sans doute que non tu ne peux pas encore acheter, que tu n’as pas encore lu tous les livres achetés ces derniers temps ….je te suis parfois dans le vieux quartier piétonnier et je remarque que tu ne regardes pas vraiment ceux qui sont à la marge, couchés par terre ou faisant la manche, que tu cherches à ignorer ces mecs qui vendent de la drogue dans les coins sombres, sous un proche, à l’orée d’une impasse…, que la saleté de certaines rues ne semble pas te toucher, tout à ressasser tes souvenirs sans doute, et sens-tu le fossé qui se creuse entre les gens de cette ville, les commerces qui ferment et ces rues qui se désertifient, tu marches avec ton regard d’enfant qui semble parfois en jachère d’apparitions, tu touches la pierre des murs comme si d’un geste magique ce qui a été pouvait être à nouveau, renaître, rejaillir de l’humus des souvenirs, comme si tu déchiffrais sous tes paupières closes le cheminement d’ ombres qui ont été: elles ne sont plus, réveille-toi et regarde cette ville telle qu’elle est aujourd’hui à charrier des vies de plus en plus déchirées, à suinter de détresse, couturée de points de suture qui craquent à chaque fin de mois; et si tu veux rester dans le passé, regarde les terrils – nos crassiers – ce ne sont pas que des proéminences vertes qui verticalisent la ville et qui font jolis sur une carte postale, tu as oublié ou peut-être jamais vraiment su le travail des mineurs d’ici, celui des femmes, les clapeuses aux mains dans le charbon tout au long des jours, les coups de grisou et tous les autres malades de silicose...Allons je ne veux pas noircir ton regard mais il faut faire attention et ne pas oublier de poser les yeux là où cela irrite un peu, considérer les échardes plantées dans l’asphalte de la ville, les souffrances qui vous envahissent tout d’un coup. Ici point de fleuve où laisser filer ses pensées , point de plage ensoleillée où reposer ses os, mais des maisons sombres qui se métamorphosent doucement, c’est vrai, mais il y a encore tant de gens à la marge….

 16ème texte (correspondant à la proposition d'écriture de la vidéo 16) pour  l'atelier d'écriture d'été animé par François Bon sur son site Tiers-Livre: " Construire une ville avec des mots".

1 commentaire:

Estourelle a dit…

C'est si simplement vrai
une ville et sa douleur dessous ou dedans
bien rentrée bien fermée