J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

lundi 2 juillet 2018

Noms propres

Parler avec les noms des rues d’avant, c’est retrouver une démarche d’enfant, celui qui vivait là sans lyrisme et sans crainte , et qui sautillait entre les murs du matin.

La rue du Chambon n’a rien à voir avec la rue Léon Nautin. C’est pourtant le même endroit, délimité par les mêmes rues mais ce n’est pas la même texture: les sons sont étouffés, les bonjours plus rares, les gestes retenus. La perpendicularité à l’axe majeur de la ville est identique et pourtant les pas semblent moins nombreux pour le rejoindre. Le bras qui balançait le cartable avait plus de force et d’allant et le sautillement entre les pavés n’est plus de mise. Hâtivement les deux noms fusionnent , se raccordent entre eux lorsqu’un rayon de lumière détache un visage dans une pierre et qu’alors le réel hésite avec le songe.

La place que je nomme toujours Mi-Carême semble bien plus gaie qu’avec son nom d’aujourd’hui – enfin qui date tout de même de 1935 ( et je suis née deux décennies plus tard !!!) – place Plotton ( un t ou deux, rien ne semble acquis). Sa tristesse indicible ne serait-elle que subjective….

Quant à la place que je dis parfois encore Marengo avec de vieux amis, elle arbore la modernité du nom de Jean-Jaurès avec son buste érigé sur un de ses côtés, depuis 1914 quand même.…! Mais la génération d’aujourd’hui, avide de vitesse, la surnomme Jean-Jo . Une constante persiste: on s’y donne toujours rendez-vous près du kiosque à musique et on y tourne encore autour pour crier son mécontentement…

Il y a des noms de rues où l’ emportent le bleu et les lueurs de l’aube : rue du Gris de lin, rue de la Chance, rue des Adieux, rue de l’Eternité, rue du Crêt du Loup, rue de la Harpe, rue de l’Isérable…A chacun, sur ses sentes occultes, de s’égarer, s’embraser, percer de réel ce qui n’est que songe, enraciner une histoire et moudre le grain d’un pauvre imaginaire.

6 ème texte (correspondant à la proposition d'écriture de la vidéo 6) pour  l'atelier d'écriture d'été animé par François Bon sur son site Tiers-Livre: " Construire une ville avec des mots".

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