Son
rêve serait de rester à Venise, mais rester ne ferait-il pas
oublier le plaisir, jamais amoindri au fil de ses voyages, de
l’arrivée . Le magnétisme est si fort, lorsque le train entre
dans la gare de Santa Lucia, et que, au travers du flot humain , on
aperçoit le grand canal et les maisons qui le bordent baignées de
cette lumière si intimement liée à ce lieu, qu’elle accepte de
partir , uniquement avec l’idée de revenir. A chaque retour,
l’apparition est toujours aussi intense et les larmes jamais très
loin. Elle songe à une arrivée un soir d’hiver lorsque quelques
flocons se mettraient à danser et lentement tapisseraient le sol et
que tout ce qui est en effervescence serait recouvert de silence:
Venise en blanc et en brume. Arriver en train a quelque chose de
rassurant , de par la lenteur, sur la toute fin du voyage, déclinée
harmonieusement , et qui fait apparaître le paysage en un mouvement
qui soudain se fige. Lorsque le retour survient, l’arrivée dans
sa ville d’origine n’est pas du même ordre, du même
émerveillement, mais a malgré tout une touche de frémissement.
Elle sait, bien avant les annonces par micro dans le wagon qu’elle
en est tout près, elle a reconnu – même si elle emprunte rarement
ce mode de transport – ce qui précède l’entrée dans la ville .
Elle a lu Jean-Christophe Bailly qui raconte cette traversée de la
vallée du Gier et la compare à une table de cantine où
rouilleraient ici ou là les gamelles... mais
où s’insinue aussi une sorte de noblesse et de dignité. Depuis
cette lecture , le regard posé sur cette arrivée est autre. Elle
aime ce retour à la tombée de la nuit , avec venant de Lyon les
cercles de lumière qui surgissent, papillons d’une nuit urbaine
qui éclatent derrière les vitres du train, comme si l’image
donnée à voir avait fermenté tout le jour puis se révélait dans
un laps de temps très bref qu’il ne faut pas rater. Pas de beaux
paysages aux abords de la ligne de train, de ceux que l’on regarde
avec l’œil aux aguets, mais savoir que là, derrière ces
collines ou ces petites villes, serpentent des routes pleines de
charme au milieu de vergers sur un versant, ou de forêts de résineux
sur l’autre. Au fur et à mesure du ralentissement du train, ce
sont les mouvements des passagers qui prennent le relais, s’activant
pour ranger écrans de toute sortes, livres ou magazines. Le train
entre dans cette respiration de l’arrêt, les passagers se lèvent,
et c’est le brouhaha des valises que l’on extraie des réduits à
bagages puis que l’on tire dans les travées, le piétinement, et
l’ouverture des portes. Lorsque le train déverse ses passagers sur
le quai numéro un et qu’elle se trouve de plain-pied dans le hall
puis sur l’esplanade, il y a toujours un instant de flottement, une
sorte d’ébauche de la marche, alors même qu’autour d’elle le
flot de voyageurs se précipite, la dépasse avec vivacité, elle
aurait presque la sensation de faire du sur place. La foule se
disperse dans deux directions avec hâte soit vers l’arrêt de tram
sur la gauche soit vers la station de taxis sur la droite. Elle prend
son temps, comme si l’ailleurs était là devant elle, comme cet
ailleurs d’où elle revient. Elle sait que si elle foule demain ou
dans quelques jours les dalles de cette esplanade, ce ne sera pas le
même regard qu’elle posera sur ce qui s’étale à ce moment
même. Les yeux déplissés, elle regarde comme une première fois.
Les travaux de réhabilitation de ce quartier ne sont pas terminés,
mais ont encore progressé depuis son départ. Une grande bâtisse
rouge a pris de l’ampleur et attire le regard. Le ciel prend toute
sa place et l’avenue monte toujours tout droit en face. Le relief
de l’oubli reprend ses formes, revient à elle. Malgré la fatigue
du voyage, ou grâce à elle peut-être, elle s’empare de l’instant
, de l’image donnée, laissant un peu de flou se répandre sur les
bords.
27 ème texte (correspondant à la proposition d'écriture de la vidéo 27) pour
l'atelier d'écriture d'été animé par François Bon sur son site
Tiers-Livre: " Construire une ville avec des mots".
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